Democracia Real Ya



Mais que se passe-t-il exactement en Espagne ?

Les Français sous perfusion de France Info, France Inter, Le Monde ou Libération ont découvert assez tardivement que les Espagnols connaissaient un mouvement de "grogne" dû au chômage et à "la crise", qu'il s'agissait de "jeunes" dont certains campaient Puerta del Sol à Madrid (et accessoirement dans une soixantaine d'autres villes en Espagne). Des jeunes. Vous savez, les jeunes, des êtres un peu inconscients, plein de fougue, encore naïfs, pas bien au courant de la réalité du monde, des jeunes avec du temps libre, toujours à se faire remarquer, prompt à faire du bruit, des jeunes, quoi, pas trop crédibles. Des jeunes en âge de voter, en âge d'être emprisonnés, aussi. Des jeunes de 20 ans, oui bien sûr. Et des jeunes de 30 ans. Jusqu'à quel âge est-on jeune aux yeux des journalistes ? Dans ces manifestations, on voit sur des vidéos, des photos, des jeunes de 40 ans, qui se sentent concernés par le monde dans lequel ils vivent, des jeunes de 55 qui disent en avoir marre du manque de justice, des jeunes de 60 ans qui disent qu'ils veulent agir. Monsieur et madame tout le monde n'en peuvent plus du bipartisme, du PP (Partido Popular, à droite) et du PSOE (Partido Socialista Obrero Español, à gauche). Des chômeurs, des travailleurs, des handicapés, des parents, des exclus, lassés des discours jamais en accord avec les actes, des collusions entre politique et finance... Ils le disent dans la rue, ils l'affichent sur des banderoles et des pancartes. Democracia Real Ya ! La vraie démocratie maintenant ! Que no nos representan ! Ils ne nous représentent pas. Toma la calle ! Prend la rue ! No somos antisistema, el sistema esta anti nosotros ! Nous ne sommes pas anti-système, le système est anti-nous ! Ils se nomment les indignados, les indignés, en écho au livre de Stéphane Hessel. Ils déploient d'immenses banderoles sur les façades des immeubles de la Puerta del Sol. L'affiche publicitaire L'Oréal qui recouvre un immeuble en travaux est détournée en "Democracia Real" et criblée de slogans, avec la photo de Goebbels affublé des oreilles de Mickey. C'est la #SpanishRevolution. Yes we camp. Mano arriba, esto es un atraco. Mains en l'air, ceci est un hold-up. Un événement rare en Espagne, pays assez peu habitué, pour des raisons historiques, aux manifestations.

Reproches

En fouinant sur les sites espagnols on peut lire des commentaires et trouver les quelques critiques faites au mouvement. Certains lui reprochent de ne pas remettre en cause l'ensemble du système (comme l'indique le slogan No somos anti-sistema), car il n'est pas issu de la tradition révolutionnaire communiste ou anarchiste et ne demande ni l'auto-gestion, ni la collectivisation de la propriété, ni la suppression de l'argent. Democracia Real Ya s'est monté via des personnes à qui la société actuelle convient, des personnes que l'on dit "insérées" mais qui veulent une meilleure application de la démocratie. Faut-il le regretter ? Est-ce la bonne question ? N'est-ce pas ainsi que le changement a le plus de chance de se produire ? En tout cas, c'est ce type de rassemblement qui semble effrayer les partis politiques. Il ne s'agit pas que d'une poignée d'anarchistes-altermondialistes à embarquer dans un seul fourgon. De plus, le mouvement a l'air de fonctionner en totale ouverture à qui veut s'y joindre. Libre à chacun d'y impulser l'orientation qu'il souhaite, comme le prouvent les campements qui se sont montés dans d'autres villes, avec leurs propres orientations.

Origine

Ça a commencé par une manifestation, dimanche 15 mai 2011. Une journée connue maintenant sous le nom #15M. Quince de mayo. Une manifestation préparée depuis décembre 2010 en prévision des élections municipales et régionales, qui ont eu lieu ce dimanche 22 mai en Espagne. Un groupe facebook, un avocat de 26 ans, un commercial de 47 ans, une dizaine de personnes semblent être à l'origine de cette action, l'Islande en ligne de mire. Une structure horizontale ouverte à tous, : des associations de chômeurs, ATTAC, rejoignent le groupe, et petit à petit, le réseau s'étend, jusqu'au 15 mai. Ensuite, ça a été autre chose. Le lundi soir, 16 mai, plus d'une centaine de personnes reste camper Puerta del Sol et se fait violemment déloger par la police. Le mardi, ils reviennent. au milieu des camionnettes de police. De tweet en mail et en coup de fil, ils sont plus de 5000. C'est le début du campement. Toute la semaine, le mouvement s'organise, publie un manifeste, appelle les Espagnols à réfléchir à leur vote, à la situation politique. Ils organisent la place en camp, trouvent un local qui servira de sanitaires, recueillent les dons de nourriture, organisent le nettoyage, communiquent via les réseaux sociaux... En France, les principaux médias restent muets, occupés par DSK, Carla, Cannes et tout le cirque. Pendant ce temps sur internet, webcams, blogs et groupe Facebook font tourner l'info, la Puerta del Sol est visible en direct, pour qui veut se faire son opinion sur ce qui est en train de se passer. Il suffit de fouiner pour trouver des vidéos et des photos. Des milliers d'Espagnols se rassemblent tous les soirs et chantent pendant des heures, discutent et s'organisent, expriment leur envie de changement. Sans un incident. Des milliers, encadrés par la police et ses camions. La Junta Electoral, la commission qui gère le déroulement des élections en Espagne, déclare le campement illégal pour la journée du samedi 21 mai car il "risquerait d’influencer le vote des élections régionales du dimanche 22 mai." La constitution espagnole prévoit la liberté de rassemblement, mais la Junta Electoral s'appuie sur le principe de la "journée de réflexion" qui prévoit que la veille du vote soit une journée neutre. Dans les faits, le campement reste en place, et la police n'a pas de consigne d'intervention. Samedi 20 mai au soir, un "cri silencieux" est organisé à minuit.


Sur France Info dimanche, on peut entendre le journaliste dire que les socialistes espagnols vont perdre les élections à cause du mouvement de "grogne". Pas à cause de leur incompétence. Non. Pas à cause de leur manque de projet. Non. Pas à cause d'eux-mêmes. À cause des citoyens mécontents.

Les élections vont passer, le mouvement va continuer, à Madrid il a été décidé de camper une semaine de plus. En France et dans d'autres villes d'Europe l'exemple est suivi. Il donnera quelque chose, ou ne donnera peut-être rien. Mais il permet à des individus de tester, d'organiser une structure, de prendre des contacts. La même chose a eu lieu en France pendant les manifestations contre la réforme des retraites. Pendant qu'une grande majorité râle contre la politique et l'économie en paroles, mais ne fait rien dans les actes, persuadée que rien ne sert à rien et qu'il vaut mieux rester chez soi, de plus en plus de personnes franchissent le pas et agissent.

Si follar cada cuatro años no es vida sexual, votar cada cuatro años no es democracia. "Si baiser une fois tous les 4 ans ce n'est pas une vie sexuelle, voter une fois tous les 4 ans ce n'est pas la démocratie". Les Espagnols sont en verve pour trouver toujours plus de slogans. On attend de voir si les Français sont complètement morts. À Nantes, le rendez-vous est donné ce lundi 23 mai à 16h place Royale.