Intelligence Artificielle, vers un lumpenproletariat ?

 

Dans la précédente petite chronique tournant autour de l'Intelligence Artificielle nous n'avons pas abordé le côté économique de la question. Le fonctionnement même de l'IA  - Renseignement Artificiel comme il conviendrait sûrement de l’appeler - et plus précisément de l'IA générative fait qu'elle ne peut répondre à une demande de création (un prompt) que par la combinaison de données pré-existantes. Ce que propose le programme est une synthèse de l'existant. En ce qui concerne le texte et l'image, l'IA va piocher dans les œuvres des autres. C'est là une méthode classique de production de l'art (ce n'est pas vilain de copier cf. Dylan et Bach).

Résumons : en terme d'art et d'IA, le prompteur compose une demande faite de mots, de phrases et parfois de noms d'artistes afin de travailler "à la manière de"... puis la machine exécute en compilant les données qu'elle possède. Là se pose l'éternelle question du plagiat (et celle du copyright). À trop piller une œuvre, à trop recopier un style on finit par plagier et enfreindre la loi.

Du point de vue des métiers, nous sommes aussi face à un risque d'importantes pertes de revenu pour les artistes. Pour l'instant la production des IA est plutôt moche, mais l'outil va se perfectionner, s'affiner et se confondre avec l'artiste, devenir l'artiste. C'est déjà le cas, beaucoup de personnes croient avoir obtenu une œuvre d'art à partir de l'utilisation de Midjourney ou de ChatGPT et de quelques phrases, alors que pour l'instant nous avons très souvent affaire à une piètre production industrialisée. Il suffit de constater la répétition de certaines figures ou procédés typiques de l'IA.

La machine manque cruellement de sensibilité, de compréhension des contextes socio-culturels ; elle manque de nuance, de spiritualité ; elle se trompe mais elle ne sait pas qu'elle se trompe. Pour corriger cela il faudra - elles existent déjà dans une moindre mesure comme nous l'enseigne cet article Au Kenya, l'enfer des petites mains précaires de ChatGPT de Courrier International - des fermes de créateurs, d'anciens artistes vendront alors leur force de travail (d'imagination  et de sensibilité) pour corriger et donner un peu d'humanité au tout venant produit par l'IA. Il est à craindre que l'utilisation de cet outil s'il n'est pas encadré et légiféré débouche sur la disparition de nombreux artistes et la création d'un nouveau lumpenproletariat à l'image de l'ubérisation de nos sociétés.

Emeric Cloche.

(Illustration : Dangerous Journey, Superposition, 2020)