La couleur tombé du ciel au cinéma



Lovecraft est difficilement adaptable au cinéma. Sa manière de raconter une histoire ne se fait pas dans l'action ni dans la description de scènes faciles à filmer. "Les gens d'autrefois s'en sont allés, et les étrangers ne veulent pas vivre là." Ce genre de phrase est difficile à mettre en scène au cinéma. Et quand il décrit c'est souvent... indescriptible ; les images et les paysages convoqués par l'auteur sont grandioses, féériques et terrifiants, remplis d'effets spéciaux en quelque sorte. Sauf que la cervelle du lecteur n'a pas besoin de millions de dollars pour les créer. 

Comment rendre à l'écran la couleur extra-terrestre de La couleur tombée du ciel ? Comment montrer l'indicible au cinéma ?

Chez Lovecraft les histoires sont exempts de véritable héros et d'histoire d'amour. Elles se déroulent sur un temps long dans la tradition de l'histoire racontée au narrateur par un autochtone ; il s'agit souvent de récit dans le récit.

C'est sûrement pour l'ensemble de ces raisons que le film de Richard Stanley avec Nicolas Cage hésite un peu sur le chemin à suivre. Stanley a compris le propos de Lovecraft et le désespoir qui s'y attache, mais à l'image de cette libellule lovecraftienne qui vient voleter à la fin du film il en fait un peu trop, jouant en force sur le registre de la folie ou certains effets spéciaux. Les rajouts (dont la légère histoire d'amour) n'apportent rien. Le temps de la nouvelle de Lovecraft est long, trop long pour le film qui tente de la faire rentrer sur deux jours. Reste une ambiance oppressante, et quelques paysages réussis. À voir.

Die Farbe de l'allemand Huan Vu est bien plus dans la temporalité lovecraftienne, l'histoire se déroule sur deux générations. Avec ses allers et retours entre les années 30, 40 et 70 le film tire son épingle du jeu. Le récit dans le récit absent de l'adaptation américaine fonctionne très bien. Le parti pris noir et blanc paraît plus sobre même si le film joue sur de nombreux effets. Ajoutons à cela que l'ambiance germanique colle bien à la nouvelle de Lovecraft.

The Lighthouse (Robert Eggers, 2019), Cold Skin (Xavier Gens, 2017), From Beyond (Stuart Gordon, 1986), Re-animator (Stuart Gordon, 1985), The Dunwich Horror (Daniel Haller, 1973), La Malédiction d'Arkham (Roger Corman, 1963)... s'il y a des réussites, le grand film lovecraftien n'a pas encore été tourné. La chose est-elle seulement possible ?


Emeric Cloche

La couleur tombée du ciel, Richard Stanley, 2019
Die Farbe, Huan Vu, 2010
Howard Philip Lovecraft, La couleur tombée du ciel, dans Amazing Stories, 1927