Christian Roux, L'Interview

Christian Roux en concert, photo service de presse

Je Notule avait déjà interviewé Christian Roux sur Duclock pour la sortie de son roman Kadogos chez Rivages/noir. Cette fois ci c'est pour son nouvel album Goutte à Goutte distribué par Mosaic Music que je voulais lui poser quelques questions...

Dj Duclock : Salut Christian, tu as sorti ton septième roman Kadogos l'année dernière chez Rivages / Noir, ce mois d'Avril voit débouler ton deuxième album "goutte à goutte". Littérature et Musique t'accompagnent donc en tant qu'écrivain et qu'auteur compositeur interprète, ces deux arts sont-ils faciles à mener de front ?

Christian Roux : Au niveau de la tête, oui. Au niveau de l’emploi du temps… Là, je sors de 36 représentations de théâtre ("Elias Leister a disparu", pièce d’Eudes Labrusse, au Théâtre 13), durant lesquelles j’interprétais au piano la musique que j’ai composée. Parallèlement, j’écris pour Agora film l’adaptation de « La bannière était en noir » (qui s’intitulera « Le chant des sirènes » tiré de ma novela « La bannière était en noir » aux éditions La branche), en collaboration avec Laurent Herbiet, le réalisateur (« Mon colonel », « Adieu, de Gaulle, adieu »…) et l’adaptation de "Braquages" avec le réalisateur, Eric Paccoud, pour Fenêtre sur Prod. Pour la fin de la semaine, je dois composer une chanson pour le festival des Ancres noires et bien sûr, le plus important aujourd’hui, il faut répéter, s’occuper de la sortie de l’album, des concerts qui vont commencer dès le 3 mai à Paris, et différentes autres petites choses… Globalement c’est le grand bordel mais tout vient à point quand même.

Mener ces deux arts (et les autres) de front n’est pas dur. Faire comprendre aux gens – et surtout aux décideurs -, que les uns comme les autres coulent dans mes veines aussi indispensablement que mon sang est chose beaucoup plus difficile… Et encore pire : vendre des travaux aussi diversifiés ! Côté promo livres, c’est l’éditeur qui s’en occupe, côté cinéma, c’est un peu tout le monde, moi compris, mais côté promo musique, vu que c’est nous (la chanteuse et moi) les producteurs…

Ah, et puis c’est le sixième roman (dont un court et un pour la jeunesse). Le septième est effectivement chez l’éditeur, mais pas encore en librairie. Il s’intitulera « L’homme à la bombe »… enfin, j’espère.

Dj Duclock : Du point de vue de l'album, tu fait un concert à Paris le 3 mai et par la suite, tu comptes faire une tournée ? Est-ce que c'est facile à l'heure actuelle de trouver des dates ?

Christian Roux : Oui, je fais une tournée. Toutes les dates sont sur le site www.nicri.fr. Et non, ce n’est pas du tout facile de trouver des dates, surtout quand on ne fait pas précisément dans un style festif ou détendant. Je ne suis pas là pour faire oublier notre condition humaine, mais pour m’en servir comme pâte. Et c’est moi-même ce que je vais chercher dans la lecture d'un roman, ou quand j’assiste à un spectacle, un concert ou un film. Quelque chose qui me remue, m’éveille, me donne envie d’exploser. Attention, je ne parle pas de s’emmerder ! mais l’éclate pour l’éclate ne m’intéresse ni en temps que spectateur, ni en temps que créateur (par contre, une bonne bouteille... mais passons). Alors évidemment, ce n’est pas précisément ce que recherchent les programmateurs de salles, et encore moins de festivals… ou je ne les ai pas trouvés. J’ai hélas la sensation que la chanson est de plus considérée comme un art mineur et divertissant par tous les acteurs concernés, du créateur au journaliste. Très triste.

Dj Duclock : Oui, en chanson française et francophone, depuis cette histoire de quotas à la radio on en a entendu des conneries sur les ondes... Des chansons écrites au kilomètre qui tournent autour d'un refrain à la con. Tiens la radio ? Tu as envoyé ton disque aux radios ? Comment ça se passe de ce côté-là ?

Christian Roux : Côté radios, on a envoyé notre disque à toutes les nationales (publiques et commerciales) et à quelques radios associatives. Les premières nous ignorent totalement.

Une partie des secondes diffusent des titres et Jean-Louis Dumas, de radio Bourg-lès-Valence a même consacré une émission à notre disque. Cela dit, étant nous-mêmes nos producteurs, attachés de presse, chargés de diffusion, nous n’avons pas le temps de faire du harcèlement téléphonique pour pousser les gens à écouter notre disque parmi les centaines qu’ils reçoivent, puisque c’est généralement comme ça que ça marche (sauf pour les fils et filles de, les copains, les retours de dinosaures et la grande majorité des artistes soutenus par de grandes compagnies – enfin grandes… je veux dire costaudes). À France Inter, par exemple, tous les programmateurs et toutes les émissions s’occupant de musique ont reçu l’album, mais les rappeler tous pour les supplier de bien vouloir considérer qu’on existe… nous n’en avons physiquement pas le temps. Nous voulons bien essayer de comprendre qu’eux-mêmes n’aient pas le temps de tout écouter, mais en ce cas, pourquoi consacrent-ils d’abord leur temps aux artistes balisés, connus, et/ou présentés par des structures commerciales de poids – et parfois de bonne qualité, je ne dis pas le contraire ? Pourquoi diffuser et rediffuser des artistes dont beaucoup de gens achèteront les disques ou se rendront aux concerts, plutôt que de consacrer ce temps à la découverte ? Là est la question…

Sinon, retour du premier concert de la tournée : on tient quelque chose de fort. Le déroulement du spectacle, la présence de la danse, l’enchaînement des morceaux… enfin on tient le truc !

Dj Duclock : Pour les radios nationales le système semble être quelque peu verrouillé et tourne autour de quelques artistes/maisons de disque bien balisé comme tu dis... parfois il y a quelques éclairs, mais le matraquage des titres ressemble de plus en plus, pour ce que j'en écoute, au radio dites libres (NRJ, Chérie FM, Skyrock...). C'est un peu bloqué comme dans la presse à grand tirage qui titre toujours sur la même chose. En même temps cela me semble être le mode de fonctionnement depuis longtemps, Elvis Presley, les Rolling Stones, les Beatles ou encore Bob Dylan, en France le trio Brel, Brassens, Ferré ont sûrement, en partie, conquis le monde avec ce système médiatique qui matraque les même titres depuis des lustres. En parallèle s'engouffrent des tubes de producteurs plus ou moins niaiseux qui ne durent que quelques mois... Pas facile de faire son trou là-dedans. Dis nous, tu écoutes beaucoup de chanson française et francophone ou tu es plus anglo-saxon ?

Christian Roux : Oui. Mais Brel, Ferré, Brassens, Presley, Dylan, Beatles, Stones, c’était quand même mieux qu’Olivia, Renan, Philippe, Carla et les autres (mais j’aime beaucoup Sautet…)

Sinon, effectivement, la chanson française n’est pas tellement ma tasse de thé et je considère la tendance pseudo manoucho-festivo-balkanique comme une vrai plaie (contrairement aux musiques d’origines qu’elle imite frileusement – je sais, là, je ne me fais pas beaucoup de copains…)

Mais Mendelson, par exemple, que si – 1983 (Barbara), sur l’album Personne ne le fera pour nous, est un pur moment de magie! Ou un disque comme Remué, de Dominique A. Sinon Noir désir, certaines choses de Bashung… J’aime qu’il y ait une vraie dimension musicale, et pas seulement un air et un gratouillis pour accompagner les paroles, mais j’aime aussi qu’il y ait une vraie dimension textuelle.

Purement musicalement, oui, je me sens plus proche des anglo-saxons, tendance noire et blanche électriques (de Living colours à Venus – qui est belge mais de pure expression anglo-saxonne –, en passant par Tom Waits, Kevin Coyne et les immenses classiques, rythm’n’blues, blues, rock, pop, à peu près tous inévitables – encore que je n’ai jamais été très fan des Stones, excepté Paint it black). Par contre, je ne suis pas fan de la tendance neurasthénique boutonneuse (the do, XXX…), même si je ne suis pas complètement indifférent à la joliesse des harmonies… mais ça reste surtout joli et ça manque d’élan musical. Les élans musicaux, les solos, les discussions entre musiciens qui peuvent parfois déraper, les constructions harmoniques aventureuses sans pour autant devenir absconses (Zappa passe parfois la limite mais reste l’auteur de pas mal de chef-d’œuvre, et dans la même lignée, en plus sage mais extrêmement bien fait, il y a Prince), et sachant se baser sur un thème mélodique fort, voilà ce que j’aime et ce que je cherche. Ca vient probablement de ma culture d’origine : la musique dite classique et contemporaine – tendance dernières œuvres de Beethoven, Malher, Bartok, Shubert avant de mourir, Ligeti (mais si, on connait tous, les chœurs stressants qui nous plongent dans l’abîme, dans 2001 odyssée de l’espace, c’est lui), et plein plein d’autres. Je suis aussi passé par le jazz. Coltrane et Monk sont pour moi insurpassables à tous points de vues. Tout le fatras jazz-rock, funk, soul des années 70 me séduit aussi beaucoup… jusqu’au disco où tout commence à se casser grave la gueule. Snif.

Dj Duclock : Quelle est ta dernière découverte musicale dans les disques ou les concerts des années 2000 ?

Christian Roux : Eh bien justement : Mendelson, que j’ai découvert en concert en 2008.

Dj Duclock : Et en bouquin ?

Christian Roux : Du tout neuf (pour moi) car découvert en 2009 : l’épopée Lew Griffin, cinq romans de James Sallis, d’une construction et d’une qualité littéraire plus qu’impressionnantes, qui commence l’air de rien par des nouvelles. Nouvelles dont on découvre qu’elles sont les chapitres d’un roman en cinq parties, qui prendra une dimension de plus en plus tentaculaire, tout en s’approchant au plus près du cœur de l’homme. Un ton unique, d’une très grande originalité mais sans aucun clinquant, en toute discrétion. C’est même au fil du temps, de décalages en décalages presque imperceptibles mais dont l’évidence nous saute à la figure au détour d’une page, qu’on découvre cette originalité. L’originalité est une chose que je ne souligne généralement pas car pour moi, ce n’est pas en soi une qualité. Elle peut aussi bien servir que desservir un propos ou une œuvre – le plus souvent, quand elle est au centre de l’œuvre, elle la dessert. Ici, elle la transcende.

Une maîtrise que je suis loin d’atteindre, mais je travaille, je travaille…

Les titres des romans, tous publiés chez Gallimard : Le faucheux, Papillon de nuit, Le frelon noir, L’œil du criquet, Bête à bon dieu.

Dj Duclock : James Sallis, ah ben de mon côté je suis en train de découvrir James Lee Burke... Ah bon sang, sur le travail de l'écrivain il y aurait tout une interview à faire tellement, notamment en France, il me semble que l'on est encore très attaché à une idée de l'écrivain comme "bête sacrée" je serais tenté de dire "bête à muse" qui verrait jaillir l'écriture de son stylo sans intertextualité, sans influences et sans travail... comme si le doigt de dieu le touchait. En parlant d'interview et pour ceux qui nous ont lu jusque là, pour Christian Roux côté bouquins Je Notule a posé quelques questions ici-même à l'occasion de la sortie de Kadogos. D'ailleurs, si ce n'est pas trop indiscret, point de vue bouquin, tu travailles sur un projet ? Tu es toujours en train d'écrire ou tu fais des pauses ?

Christian Roux : Ce n’est pas trop indiscret. J’ai fini un nouveau roman, intitulé L’homme à la bombe. Quelque chose de très différent, très simple… J’attends – impatiemment - le verdict de mon éditeur. Je boucle le scénario du Chant des sirènes avec le réalisateur, Laurent Herbiet (Mon colonel, Adieu de Gaulle adieu)… Et sinon, oui, le travail, rien que le travail. Je ne crois à rien d’autre. Car s’il y a mystère, on ne peut influer dessus, donc on s’en fout. Bach répondait toujours ceci à ses admirateurs : « Il n’y a aucun secret. Travaillez autant que moi, c’est tout », et pourtant, il était sacrément croyant, le bougre, il aurait pu invoquer l’autre affreux des hauteurs célestes.

Dj Duclock : Tiens nous au courant de la suite des événements pour L'homme à la bombe et merci pour cette petite interview discussion !

Christian Roux, Goutte à goutte en concert