"Branle bas général, comme chaque mardi matin, Le professeur. Léo Ferré visite ses patients. Avec sa kyrielle d'internes et d'étudiants. Tout doit être nickel, sol, lits, malades, rimmel des infirlmières. Dans le sillage du mandarin, personne ne pipe mot. La garde blanche écoute au stéthoscope tout ce qui tombe de la bouche professorale. Le moindre bafouillis a valeur d'évangile. On prend des notes. Les visites se succédent au pas de course. D'est en Ouest, comme le soleil. La marche c'est bon pour la santé."
Jan Thirion, John et Yoko sont dans un hosto, Krakoen, 2009
Le nom des personnages, tous issus de la chanson française et francophone, du rock ou de la variété, de la pop des années 60-70, et les "éléments perturbateurs" qui touchent au fantastique distillent une ambiance très forte et rare qui n'est pas sans rappeler l'imaginaire de Boris Vian. Petit à petit on s'enfonce dans cet univers - le huis clos de l'hôpital - qui bascule pour rejoindre l'Histoire du rock. Toute une époque est là avec ses odeurs, son tour de France et ses tubes.
Après avoir lu les dernières lignes de John et Yoko sont dans un hosto je me suis farci plusieurs fois l'album blanc des Beatles, puis j'ai été relire les chroniques d'Alain Distel sur la mort de John Lennon.
Jan Thirion cause - avec une lenteur savoureuse et une liberté rare - d'amour, d'amitié, d'adolescence et de l'hosto. Il a fallu un long moment de digestion avant que je me replonge dans un autre livre. Et je me rends compte qu'il s'agit là d'un livre hanté - comme ces chansons qui contiennent à la fois un souvenir et le présent - et pas seulement par le nom des chanteurs, des chanteuses ou des groupes... Direct dans la bibliothèque idéale du Dj Duclock.
“… Trois guitares, une batterie, un orgue électrique partent à l’assaut des murs de l’hosto. Ils veulent les voir s’écrouler. Jéricho rock. Tremblez, fissurez-vous, éclatez, explosez, lâchez le fleuve de vie qui gronde dans chacun. Mort à l’ennui. Mort au quotidien. Mort à la maladie. Mort à la mort.”
Jan Thirion, John et Yoko sont dans un hosto, Krakoen, 2009
Retrouvez aussi des aphorismes de Jan Thirion sur Méfait divers - un contemplatif au pays des crocs-en-jambe.
Jan Thirion et les 3 questons du Dj Duclock (+1)
Dj Duclock : Les ritournelles de la fin des années 60 début 70 hantent chacune des pages de "John et Yoko sont dans un hosto", quand ce ne sont pas les airs, ce sont les interprètes ! As-tu écrit John et Yoko en musique ? La musique est-elle une source d'inspiration ?
Jan Thirion : La musique est le cœur palpitant de ce roman. J’ai été rechercher les chansons sur le net, les enregistrements sonores bien sûr, les paroles et leurs interprètes dont les spectres s’animent dans cette lanterne magique moderne miraculeusement mis à notre disposition, grâce à un archivage tentaculaire. Il m’a paru évident que cette fin des années 60 ne pouvait pas être mieux ressuscitée qu’en chansons. Les airs sont reconnaissables. Tous, mélodieux, ils font danser les neurones, mêmes de ceux qui n’ont pas vécu la période. Quant aux chanteurs eux-mêmes, leur tête, leur allure, leur nom, pour peu qu’on n’ait pas perdu la mémoire, nous accompagnent la vie durant, physiquement, ou dans le baluchon de souvenirs qu’on traîne sans cesse avec soi. On voit vieillir ceux qui survivent aux modes et on a un cimetière secret pour ceux qui nous ont caressé l’âme.
Tous ceux cités dans le roman se sont donc succédés dans mes oreilles pour un méga concert revival. On peut dire que j’ai écrit J & Y en musique, entouré des fantômes communs à tout le monde. La musique est d’ailleurs une constante dans mes récits. Mes personnages jouissent des mêmes sens que les personnes réelles. Si je peux parler de mes autres romans, dans “Mikko”, un chapitre fondamental concerne une soirée musicale où l’on n’arrête pas de passer des chanteurs morts. Dans “Dieu veille Toulouse”, le héros, flic de son état, cherche l’inspiration à l’écoute de Glenn Gould. Glenn Gould lui donne des solutions aux énigmes criminelles. Dans mon prochain roman qui se déroule en Indochine, en 1910, on n’arrête pas non plus de chanter, chants de l’armée d’un côté, chants traditionnels vietnamiens de l’autre. La musique, même quand on n’en joue pas, construit les gens. Elle n’est pas que culture, identité, appartenance à un groupe, elle est de la chair humaine, elle est indivisible de la personne. C’est pour cela que, bien que je n’en écoute peu en écrivant, elle me permet de faire vivre des êtres fictifs dans mes histoires.
Dj Duclock : Que lis-tu en ce moment ?
Jan Thirion : Le dernier Philippe Djian, Impardonnables. Sec, real fiction, phrases qui tombent comme du bois qu’on coupe, tout le temps dans le vif du sujet, le roman noir qui se passe d’argument policier, enfin là où j’en suis, à la 110ème page. C’est mon premier Djian. Les précédents ne m’ont jamais tenté. J’ai le nez également dans un essai fantaisiste d’Arthur Keelt, Le merle, objet littéraire non identifié d’un Autrichien érudit, farfelu à placer entre Thomas Bernhard et Gombrowicz pour le côté délire colérique. Mais lui, je le lis aussi pour le travail, tout comme des numéros du quotidien Le Courrier du Vietnam qu’on m’a envoyés d’Asie pour accompagner des objets dans un paquet.
Dj Duclock : Qu'écoutes-tu comme musique ces derniers temps, l'album qui tourne sur la platine ?
Jan Thirion : Depuis une semaine, le CD qui remplit les moments creux de ma journée, je le dois à un certain DJ Duclock qui sait faire de bonnes compiles. Un disque peut rester un long moment dans l’appareil. Auparavant, tournait Glasvegas, du bon rock tristounet de Glasgow, et auparavant Mountain Meadows d’Elliott Brood, soit des musiques pop de l’instant qui vont bientôt se perdre dans l’oubli, remplacées par d’autres. On nous a greffé des oreilles d’ogre.
Dj Duclock :. Qu'est-ce qui t'as surpris dernièrement... Quand as tu été surpris pour la dernière fois ?
Jan Thirion : Je suis souvent surpris par les petites choses de la vie courante, plutôt en bien, comme je suis souvent surpris par ce qui se passe ailleurs, plutôt en mal. Alors, je ne se sais comment répondre à ta question. Comme ça, comme il me vient et pour rattacher ma réponse à la musique, j’ai été surpris par l’autorité, le discours et l’intelligence de Seal, le chanteur soul, sur une question de racisme après l’élection d’Obama, alors que je ne suis pas du tout un fan. J’avais un a priori en le cataloguant chanteur de variété, ce qu’il est et qu’il assume. Deux minutes de discours, soit le temps d’une chanson, et il m’a enfoncé dans le crâne la mélodie du savoir penser différemment.