Le film est souvent présenté comme un biopic, c'est à dire comme une biographie cinématographique. Il est censé raconter la vie de Bod Dylan, ses débuts en tant que chanteur, la façon dont il s'est formé, du premier album de reprises folk chez Columbia records à Blond on Blond couvrant une période de 1961 à 1965. On va apprendre qui étaient les héros du chanteur et qui il fréquentait. Et le film le fait bien, avec une certaine finesse, des ellipses et un jeu d'acteur remarquable que ce soit pour Timothée Chalamet (Bob Dylan), Monica Barbaro (Joan Baez), Elle Fanning (Suze Rotolo), Boyd Holbrook (Johnny Cash), Edward Norton (Pete Seeger) et la plupart des protagonistes (on pourra jouer à reconnaître Odetta, Dave Van Ronk...). Mais le film n'est pas vraiment un biopic. C'est une interprétation d'un moment de la vie de Bob Dylan, voire un fable sur la création et le succès. Il est bon de se rappeler par ailleurs qu'Un parfait inconnu c'est une adaptation d'un livre, le Dylan Électrique de Elijah Wald écrit en 2015.
Le film raconte une vie fantasmée ; s'il montre que Bob Dylan s'invente une vie (I'm Not There de Todd Haynes faisait aussi cela très bien dans un autre registre) il invente aussi des scènes qui fonctionnent comme autant de métaphores venant renforcer le propos. Oui... encore une fois ce que vous allez voir n'est pas la vérité. L'harmonica donné par Woody Guthrie, la visite à ce même Woody Guthrie, l'une des amies de Bob Dylan, sont des inventions, tout comme cette émission de télévision avec Pete Seeger et le bluesman Mofette. Mofette n'a jamais existé. Johnny Cash n'a pas joué au festival de Newport en 1965... Les pistes sont brouillées, mais l'essentiel est là pour un film traversé par une tension permanente. Dylan semble constamment sous pression, celle de ces chansons, celles des autres, du public, de ses mentors, de l'industrie musicale, de ce que l'on veut de lui, de l'époque brossée en quelques belles scènes avec la présence de la télévision égrainant les information de la crise des missiles de Cuba en 1962. C'est un gamin face à quelque chose de trop grand, mais qui contrairement à Kurt Cobain, arrivera à faire avec.
Le réalisateur James Mangold (Copland, Walk The Line...) mélange vrai et faux, la légende et l'histoire, celle qui aurait pu être (voire celle qui a pu être) et il le fait avec habileté dans un décor "années 60". Un décor - et cela est revendiqué comme tel - qui n'est pas vraiment les années 60. Cela participe aussi de la sensation de fable qui peut se dégager du film. Mais la vérité, celle du film est là, et elle fonctionne. Nous avons passé deux heures et vingt minutes à voir la genèse d'un des auteurs compositeurs les plus importants de notre époque, notre Shakespeare à nous, plus de deux heures à suivre un parfait inconnu. Un belle réussite et un jeu d'acteur remarquable avec ce regard et ces postures qui disent la colère, l’émerveillement, l'agacement à la peur. Une belle gestuelle, jusqu'à l'interprétation des chansons. Timothée Chalamet joue et chante avec ses moyens, sa voix, il saisi la diction de Dylan, enfin d'un Dylan.
Emeric Cloche.