Zero, dark, thirty de Kathryn Bigelow



Oussama Ben Laden. L'un des morts les plus célèbres du début du 21e siècle. La figure de l'ennemi suprême, celui des américains, propulsé par là-même ennemi du monde entier. Concrètement, pas mal de gens sur terre se fichent de Ben Laden mais le mythe est bien présent dans les esprits, aidé par le matraquage médiatique.

Il y a plein de choses que Zero Dark Thirty n'est pas. Ce n'est pas un film sur le terrorisme. Ni sur Ben Laden, pas plus qu'une réflexion sur les raisons profondes qui opposent les Etats-Unis à la Qaïda (*). Ce n'est pas un film qui explique et raconte les liens entre la riche famille saoudiennne Ben Laden et les Etats-Unis. Si l'on accepte ce choix, respectable, on peut apprécier le spectacle. Tout commence au moment des attentats du 11 septembre 2001, dont on ne verra aucune image, remplacées  par la bande-son des conversations téléphoniques désespérées des passagers des avions. La date est devenue un symbole : nine eleven (9.11).

De Guantanamo aux camps pakistanais, les hommes et les femmes de la CIA vont pister, ficher, interroger, torturer. Jusqu'à ce que l'administration Obama mette un frein. L'épisode est incarné par un échange entre l'homme de Washington et celui de la CIA, le second fait remarquer au premier que désormais s'il interroge son prisonnier, sur ses liens avec Ben Laden, il faut aussi un avocat ce qui équivaut à prévenir Ben Laden qu'il est repéré. Faut-il croire que les américains soient totalement rentrés dans les clous, n'osant plus interroger un suspect de façon musclée ?


Maya, jeune et jolie américaine aux dents blanches et à la mise parfaite, va tirer le fil qui mènera à Ben Laden. Un peu énervante Maya, car on se demande décidément si tous les américains ont cette allure de pub Hollywood Chewing Gum. Mais ce n'est pas non plus une poupée. Têtue, solitaire, brillante, elle tient tête au représentant du gouvernement au cours d'une réunion où elle s'auto-qualifie de motherfucker. Elle a des couilles. Elle a échappé à deux attentats qui nous la rendent forcément sympathique. Elle veut buter Ben Laden et venger son équipière morte. Elle va creuser, traquer, malgré les doutes de sa hiérarchie, qui veut des preuves avant d'agir. "Au moins pour l'Irak, on avait des photos", dit en gros l'un des personnages, et on se demande si c'est une blague. Mais tout de même, le spectateur a bien envie qu'elle parvienne à ses fins, cette jolie rousse.

Le film dure plus de deux heures. La tension est maintenue. Les faits sont presque livrés "brut", mais à bien y regarder, Zero Dark Thirty est du côté de Maya. Jamais nous n'aurons un contrepoint à sa vision, elle qui dit que les terroristes sont des extrémistes qui carburent à l'idéologie et pas à la liasse de billets.  (L'idéologue, c'est l'autre...) Certes, Bigelow montre la torture commise par l'armée américaine. Elle montre aussi les militaires exécuter les habitants du bunker dans une longue scène impeccable. "C'est le merdier," dit un des militaires, et l'on est pas très rassuré d'entendre un professionnel ainsi désemparé lors de l'intervention nocturne face à 3 femmes, des enfants et 3 hommes qui n'ont pas vraiment le temps de réagir. Ça se passait le 2 mai 2011, mais cette date-là n'est pas devenue un symbole mondial. Plusieurs détails, ajoutés à la larme de Maya, font donc qu'une fois la réussite du spectacle digérée, un léger malaise s'installe.

Et finalement, l'avis de Michel Embareck synthétise tout ça avec humour : "2 H 40 de traque de Ben Laden, c'est long et très très chiant. Donc 20 minutes pour apprendre que les Ricains ont torturé des prisonniers à Guantanamo afin d'obtenir des noms et ça on s'en doutait un peu. Ensuite une bonne heure à chercher un type mais comme la CIA est une grande boutique un peu comme la Sécu ben ils ne cherchaient pas le bon mais son frère dont le dossier s'était un peu perdu dans les étages ( comme à la Sécu quoi). Celle qui cherche est une malheureuse blonde qui croit avoir raison contre l'avis général. Encore un long moment de syndrome Homeland. Ensuite des écoutes téléphoniques pis des trucs de nuit qu'on voit pas grand chose et même que Alamo c'était vachement mieux. Comme on connaît la fin ça permet de terminer son pop corn peinardos."


(*) Selon la correction d'Alain Chouet dans Au coeur des services spéciaux, La Découverte, 2011 : Qaïda veut dire en arabe registre d'inscription ou base de données. C'est un mot de genre féminin. Je m'efforce - avec bien des difficultés - de parler le français. Je dis donc "la Qaïda" et pas "Al-Qaïda" parce que, en arabe "al" est l'article défini. Il est invariable et se traduit donc, suivant le cas, par le, la ou les. Quand j'évoque le SPD allemand je ne dis pas "die SPD", mais "le SPD". Quand je parle du Tea Party américain, je dis "le Tea party" et pas "the Tea Party".