Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny de Kurt Weil et Bertolt Brecht, Angers-Nantes Opéra



"Brecht veut d'abord raconter une histoire, comme l'indique par exemple le panneau ouvrant la cinquième scène. Mais le style épique rapporte au lieu d'incarner : il invite le spectateur à réfléchir et à réagir, et non à s'investir dans un processus psychologique. En ce sens les personnages ne représentent plus des modèles auxquels il serait tentant de s'identifier, mais des types sociaux."

Tiré de Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny, Commentaire musical et littéraire dans L'Avant-Scène Opéra n°166.

Dès l'ouverture de Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny avec l'apparition du camion - dans lequel se trouvent Léocadia Begbick, Moïse la Trinité et Fatty le Fondé de Pouvoir - on comprend que la mise en scène de Patrice Caurier et Moshe Leiser, que les décors de Christian Fenouillat et les costumes d'Agastino Cavalca vont habilement marier absurde, grotesque et couleurs. Le carton pâte convient à merveille aux métaphores et paraboles de Weill et Brecht, à l'image du drapeau de la ville piège de Mahagonny : une boule à miroirs, accessoire de boîte de nuit ou de salle de bal... Côté distribution, Nuala Willis entre parfaitement dans la peau de Léocadia Begbick, le rôle semble avoir été taillé pour elle. Beau Palmer (Fatty) et Nicholas Folwell (Moïse la Trinité) ne sont pas en reste et le public se paie de sacrées tranches de rire, avec entre autre les scènes du bordel (Scène 14 : Faire l'amour) et du procès (scène 18 : Les tribunaux de Mahagonny n'étaient pas pires que les autres)... Elzbieta Szmytka dans le rôle de Jenny est un peu effacée (par rapport à disons Audra Mc Donald dont on reparlera prochainement), mais possède une voix subtile et si elle campe un personnage moins fort qu'on ne l'attend, le rajout dans le côté fragile n'est pas sans apporter à la complexité de Jenny. Les bûcherons de l'Alaska avec Andrew Rees (Jim Mahoney) - longuement applaudi -, Eric Huchet (Jack O'Brien), Randall Jakobsh (Joe) et Frédéric Caton (Bill) font une apparition particulièrement bien mise en scène (Scène 4 : Dans les années qui suivirent, les mécontents de tous les continents affluèrent à Mahagonny, la ville d'or) et tiennent ensuite très bien la route dans cette veine. A l'image de la scène 3 : La nouvelle de la fondation d'une cité paradisiaque atteint les grandes villes, les scènes avec chorale sont prenantes et graves ; quand on y rit - la file d'hommes qui attendent leur tour devant la porte du bordel - c'est plutôt en jaune... Faut dire qu'il y a beaucoup de couleur dans les costumes et les maquillages.

Pascal Verrot est à la direction musicale, sous sa baguette l'orchestre de fosse se donne à fond. La musique de Weill qui penche vers le jazz fait mouche et réserve quelques surprises instrumentales : on croisera notamment une cithare, un banjo et un bandonéon. On notera la présence de la Fanfare de la 9e Brigade Légère Blindée de Marine de Nantes dirigée par Philippe Hardy, que l'on retrouvera pour le Berliner Requiem au Théâtre Graslin le 6 mars à 20 h. A l'écoute de leur interprétation on regrettera vivement que de récentes lois sur le budget des armées la force à disparaître...

Ce Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny est un spectacle qu'il ne fallait pas rater (mais on vous avait prévenus) et dont le sujet reste malheureusement toujours d'actualité - alors que cet opéra visionnaire s'ébauche dès 1927 avec les Mahagonny Songspiel - le jeu de pancartes lors de la dernière scène laissera un goût amer.

Les retardataires peuvent se rendre à Angers au Grand Théatre les Mardi 10, Jeudi 12 et Dimanche 15 Mars, puis à l'Opéra de Lille les 3, 5, 7 et 9 Avril. Vous pouvez aussi retrouver une interview de Moshe Leiser (metteur en scène) sur Concertclassic.com.