Pour beaucoup de joueuses et de joueurs des années 80, le jeu de rôle vint remplacer les "livres dont vous êtes le héros" avec la boîte d'initiation de L'Oeil Noir. Mais une espèce de maturité (la fin du "ouvrons cette porte, oh un monstre ! Voyons voir quel objets magiques il cachait, le vilain") a commencé avec des jeux comme Chill et L'appel de Cthulhu.
Chill est malheureusement un jeu maudit qui disparait à chaque renaissance. L'Appel de Cthulhu, porté par l'univers et le nom de Lovecraft, fait beaucoup plus d'adeptes. Il possède un imaginaire fort construit autour de noms comme Cthulhu, Nyarlathotep ou Yog-Sothoth, un monde grandiose, sombre, répétitif et désespéré. Cet imaginaire fonctionne comme un Donjon, c'est une bonne vieille paire de chaussons douillette et accueillante. C'est une maison d'enfance dont l'on connait tous les recoins mais qui peut raviver quelques surprises.
Que l'on ne s'y méprenne pas. Si les ingrédients d'une partie de Cthulhu sont connus (un monstre, une secte, une vieille maison, un savant fou, des contrées oniriques, un Dieu très ancien...) il n'en demeure pas moins que leur agencement ou leur absence peut réserver des surprises. Et quand bien même la surprise ne serait pas là... la madeleine de Proust, le souvenir de ces aventures maintes fois lues ou jouées fonctionnent. Parce que la peur ne réside pas forcément dans la surprise.
Quand nous jouions à L'appel de Cthulhu les années 1920 et 1930 étaient mises en avant. Nous nous sommes beaucoup documentés sur le sujet avec les moyens du bord (les feuilles du guide contenues dans la boîte de base se détachaient, tellement il avait été consulté). Pour préserver un certain suspense durant les parties les scénarios ne mettaient pas forcément le mythe en jeu. Les joueurs étaient parfois un peu perdus, à se demander de quoi il retournait. Fantastique ou pas fantastique ?
Parmi ces histoires je me souviens d'une mini-campagne maison "L'île du Diable", qui mettait en scène des contrebandiers acheminant du vin d'Europe pour le vendre aux USA durant la Prohibition. L'histoire se déroulait en partie à Boston et en partie sur une île dans une ambiance fantastique et Lovecraftienne, alors que le scénario reposait sur une intrigue rationnelle sans monstre venu d'ailleurs ni dieux immémoriaux. Juste des bouteilles de vin... et des contrebandiers imaginatifs.
Jouer à L'appel de Cthulhu ou à Cthulhu Gumshoe en jouant sur cette possibilité permet de varier les plaisirs et apporter un autre suspense. La richesse du mythe ou de l'absence du mythe est un levier avec lequel le scénariste peut jouer.
Emeric Cloche