Benjamin Fogel se souvient de cet air...

Benjamin Fogel se souvient de cet air
Benjamin Fogel (Crédit photo Alexis Fogel)


Benjamin Fogel a longtemps fréquenté les salles de concert, puis écrit sur la musique, puis fondé une maison d'édition. Et enfin écrit son premier roman.

Je me souviens de cet air, de la rythmique qui s’emballe et des guitares qui grondent. C’était en 1995. La musique ne jouait aucun rôle dans ma vie, si ce n’est celui d’accompagner les images de mes films préférés. Je viens d’une famille où la musique n’existe qu’aux bornes de la culture. Je ne savais pas ce qu’était « vivre en musique ». Quand un ami plus âgé m’a fait écouter Go de Pearl Jam, la chanson qui ouvre Vs., leur second album, je n’avais aucun point de repère pour retranscrire combien j’aimais ce que j’entendais. Alors j’ai dit : « Cette chanson est incroyable, je ne comprends pas que Tarantino ne l’ait encore jamais utilisée pour ouvrir un de ses films » – Pulp Fiction était sorti l’année précédente et l’énergie de l'interprétation de Misirlou par Dick Dale constituait une référence pour moi en matière de musiques jouissives. C’était la première fois que j’émettais un avis sur une chanson - l’embryon de ma première chronique musicale.

Mes amis se sont moqués de moi. Des chansons aussi puissantes et généreuses que Go, de Pearl Jam, il en existait des milliers. Je me suis retrouvé dans un état ambivalent, vexé et agacé par mon manque de culture, mais aussi surexcité par ce terrain vierge que représentait la musique et par tout ce que ces chansons, qui attendaient que je les découvre, allaient m’apporter.

Alors que j’allais consacrer une grosse partie de ma vie à écouter de la musique et à découvrir des groupes, mon premier émoi musical ne fut ni un coup de cœur inavouable, ni un début honteux, mais une chanson que je chéris encore. Mon expérience me paraît précieuse, parce qu’un quart de siècle plus tard le lien qui s’est créé ce jour-là entre Pearl Jam et moi est plus fort que jamais. Au fil des ans, le groupe s’est affirmé par ses compositions, ses influences aussi punk que folk, son engagement sociopolitique et sa manière d’interagir avec son public – entre grandes messes fédératrices et événements intimistes –, comme l’un des projets musicaux dont je me sens le plus proche. Si je me souviens aussi bien de cet air, c’est parce que je n’ai jamais cessé de l’écouter.