Le seigneur des anneaux, notes sur le livre 2 (Tome 1)

 Alvin Langdon Coburn, The Edge of the Black Country, 1907
Alvin Langdon Coburn, The Edge of the Black Country, 1907

"Ah ! La Moria ! Merveille du monde septentrional ! Trop profond y avons-nous creusé, éveillant la terreur sans nom." 

... soupire Glóin au début du livre 2. Nous en parlions un petit peu dans les notes sur le livre 1 : il paraît clair que l'oeuvre de Tolkien a un point commun avec celle de Lovecraft en ce qui concerne les choses anciennes et tapies sous terre. Mais les choses anciennes ne sont pas les seuls dangers qui guettent les Terres du Milieu...

Des fosses et des forges : l'industrialisation du monde

Dans sa biographie sur Judas Priest Neil Daniels note que le "Black Country" avec ses mines, son charbon et ses industries de l'acier a dû influencer J.R.R. Tolkien pour l'élaboration de ses terribles paysages du Mordor. Ce même "Black Country" a vu naître des groupes comme Led Zeppelin, Black Sabbath et Judas Priest qui ont chacun consacré quelques morceaux de musique à l'univers de Tolkien. Les vastes étendues défigurées par l'industrie de guerre de Saruman apparaissent pour la première fois dans le livre 2 du Seigneur des Anneaux où l'on peut lire ce qu'a vu Gandalf alors qu'il était prisonnier sur le pinacle de l'Orthanc :
Ils m'emmenèrent et me laissèrent seul sur le pinacle d'Orthanc, là où Saruman avait accoutumé d'observer les étoiles. Il n'y a aucun moyen d'en descendre, sinon par un étroit escalier de plusieurs milliers de marches, et tout en bas, la vallée parait lointaine. Alors qu'elle était autrefois verte et belle, je vis en la contemplant qu'elle était maintenant remplie de fosses et de forges. Isengard hébergeait des loups et des Orques car Saruman rassemblait une grande force pour son propre compte, en concurrence avec Sauron et non à son service - pour le moment. Une fumée noire flottait sur tous ses chantiers et s'enroulait autour des parois d'Orthanc.
Ce paysage d'usines et de désolation revient ensuite quand Sam regarde dans le miroir de Galadriel où apparaît une Comté bien loin de l'harmonie qui régnait au début du livre 1 :
"Hé, mais ! cria Sam d'une voix outré. V'là ce maudit Ted Sablonnier en train de couper des arbres qu'il devrait pas. Fallait pas les abattre : c'est l'avenue derrière le Moulin qui donne de l'ombre à la route Belleau. Si je pouvais lui mettre la main au collet, je l'abattrais lui !"
Mais Sam s'aperçut alors que le Vieux Moulin avait disparu, et qu'à sa place, un gros édifice de brique rouge était en voie d'être construit. Beaucoup de gens s'affairaient autour. Il y avait une haute cheminée non loin. Une fumée noire parut voiler la surface du Miroir.

Et pourtant que la montagne est belle...


Ces images furtives contrastent fortement avec la beauté des paysages traversés par la compagnie (même si, parfois, la nature est cruelle). L'évocation du voyage, de la montagne ou des vallées, les somptueux coucher et lever de soleil sont récurrents et fonctionnent à la fois comme un souffle épique et autant de "toiles de maître".

Le jour se leva comme un brasier fumant. À l'est des bancs de nuages noirs s'étendaient à l'horizon comme les effluves d'un grand incendie. Le soleil levant les enflammait par en-dessous, leur donnant un éclat rouge sombre ; mais il ne tarda pas à s'élever au-dessus d'eux dans un ciel clair. Le sommet de Tol Brandir était couronné d'or. Frodo leva les yeux vers l'est et contempla la haute île. Ses flancs surgissaient à pic des eaux courantes. Loin au-dessus des hautes falaises, des arbres escaladaient les pentes abruptes, cime après cime ; et plus haut encore, des rochers inaccessibles montaient leur face grise, coiffés d'une grande aiguille de pierre. De nombreux oiseaux tournoyaient autour d'elle, mais il n'y avait pas le moindre signe d'autres êtres vivants.


Toutes les citations sont tirées de J.R.R. Tolkien, Le seigneur des anneaux, traduction de Daniel Lauzon.