Nicolas Mathieu par Laura Munoz |
Nicolas Mathieu s'est fait remarquer avec son premier roman Aux animaux la guerre paru chez Actes Noirs, dont l'adaptation sera visible sur France3. De sa Lorraine, il se souvient de cet air...
J’aurais pu parler de Springsteen, de
Noir Désir, de Bach. J’aurais même pu faire semblant d’avoir
découvert Towne Van Zandt tout seul, sans l’aide de Michel
Embareck. La musique a tant à voir avec notre image sociale, ce
qu’elle donne à imaginer de nous ; on est toujours tenté de faire
le beau, d’instrumentaliser nos sentiments pour avoir fière
allure.
Je me souviens qu’au bahut, on
écoutait Rage against the machine ou les Pixies au moins autant pour
avoir l’air cool que pour se donner des frissons. Au fond du bus
et dans nos piaules tapissées de posters, les groupes nous servaient
d’étendard, nos K7 de quartiers de noblesse. Aujourd’hui encore,
on colle des pochettes de 33 tours au mur de son loft, on va au
boulot avec un t-shirt des Guns.
La musique m’a toujours posé
problème parce qu’elle nous classe (mieux que nos vêtements, dont
elle oriente d’ailleurs souvent le choix), nous agrège à des
bandes (bien plus que les livres), nous somme de produire nos papiers
d’identité culturelle (comme la cinéphile ne le fera jamais).
Alors je vais parler d’autre chose,
de ces morceaux honteux qui nous tirent des larmes. Oui, Sardou
m’émeut, ce con. Oui, Phil Collins peut me foutre à genoux.
Effectivement, « Voyage, voyage » est à mes yeux une
chanson immortelle. Même Jeanne Mass prend une ampleur métaphysique
quand je l’entends dans l’habitacle de ma voiture, sur une
autoroute qui file tout droit vers cette cuisine de mon enfance où
résonne un transistor calé sur RTL et sa fameuse valise.
Cette beauté des tubes calamiteux,
admise à la dérobée quand pris de boisson on laisse enfin tomber
le masque, m’apparait la plus poignante, dans sa légitimité
relative, son rapport à l’enfance, sa naïveté de porcelaine.
Alors si je devais me souvenir d’un
air, ce serait Cambodia de Kim Wilde. Il restitue pour moi ce que
furent les 80’s, dans leur vulgarité froide, leur sentimentalisme
de néon, une certaine idée du désespoir, post moderne et
synthétique. Cambodia me donne envie de rouler plus vite et souffle
à mon oreille cette leçon commune à tous les chefs d’œuvre :
le temps passe et nous avec lui.