Marie Van Moere est l'auteure du roman Petite Louve paru à la Manufacture de Livres. Née à Pau, elle passe les premières années de sa vie en Guyane Française ; elle habite maintenant en Corse.
Mark
Lanegan, c’est mon Johnny Cash. Ce
n’est pas une question d’âge, plus sûrement de génération.
Si, si, il y a une différence. Lanegan lui rend hommage en reprenant
la chanson The beast in me
en cover.
Il y a des similitudes dans la méthodologie de travail chez les
deux. Chacun crée et reprend ce qu’il aime sans se cantonner dans
un domaine musical particulier. Mark Lanegan travaille autant qu’il
peut et a échappé à sa période toxico. Pourquoi j’introduis
avec le vieux Johnny ? Parce que je l’aime beaucoup mais que
je préfère Mark Lanegan. Histoire d’éclairer l’objectif
d’entrée et parce que je me suis posée la question.
Parti
du grunge avec Kurt Cobain à la mémoire duquel il écrivit la
chanson TheRiver Rise (et
j’aime les histoires de rivière comme celle du vieux Springsteen
The River
ou River deep, mountain high
d’Ike aka le bâtard et Tina Turner, River Of Gold
de King Dude), il va se colleter à peu près à tout ce qui lui
plaît quel que soit le style de musique. Il ne le fait pas pour
élargir une audience mais parce qu’il trouve son bonheur dans la
curiosité, avant d’être un creuset d’influences qu’il fait
siennes pour enregistrer un bon morceau. En concert, sa voix abîmée
par le bourbon et les clopes parvient, quand il est bien luné, à
sortir tout ce qu’il a dans les tripes. Une voix cassée n’est
pas une évidence pour bien chanter, et il y arrive.
Un
des bons côtés des réseaux sociaux est le partage, quand tu es un
peu curieux. J’ai découvert Lanegan grâce un ami, Jacques
Houssay, il y a un peu plus de deux ans si ma mémoire est bonne.
C’était le duo avec Isobel Campbell, The Breaking Hands,
sur l’album The
Jeffrey Lee Pierce Sessions Project
– The
Journey Is Long
(depuis, il a aussi interprété en duo Desire by blue river
avec Bertrand Cantat toujours sur un album lié à Jeffrey Lee
Pierce, Axels
and Sockets –
on ne se refait pas quand on est écorché vif, on s’
‘entre-tient’). Depuis, je crois avoir écouté de lui tout ce
qu’il était possible de glaner sur Internet.
Celui
que j’écoute, celui qui m’ouvre la cage thoracique, c’est le
dark
Mark. Quand je l’ai découvert, je traversais la période la plus
sombre et goudronneuse de mon existence, une véritable épreuve
d’endurance. Quand je l’ai entendu chanter, c’est simple, je
lui ai tout refilé, et il y avait du stock. Le Lanegan que j’écoute,
c’est celui de Methamphetamine Blues que
cite d’ailleurs Bruen dans CAUCHEMAR AMÉRICAIN lu récemment. Je
laisse le rock disco Sad Lover
(dernier single, sortie le 29 juillet 2014) à celles et ceux qui ont
besoin de miel de châtaigne (je garde Bombed
avec P.J. Harvey). J’aime vraiment les gens qui ont survécu à
leur gouffre, ou à celui que la société leur a foutu dans la
gueule. Comme dirait Big Steve (Stephen King), la vie a des dents et
tu ferais mieux de te réveiller avant qu’elle te morde le cul pour
t’emmener dans le lit boueux de la rivière. J’avais déjà
l’écriture, PETITE LOUVE était quasiment achevé, quelques
nouvelles étaient publiées, mais écouter Mark Lanegan m’a reposé
l’esprit parce que lui a vu le fond argileux du cours d’eau dans
lequel tu t’enfonces parfois tourné vers la surface pour
apercevoir le ciel jusqu’au dernier moment. Même quand l’eau a
la couleur du bourbon. Faut dire que ça peut être bon, le bourbon,
et que ça sonne pas mal comme petit mot. Faut doser, quoi. L’hiver
quand tout est bien cradoque et que tu te prépares une tasse de thé
noir avec du miel et du bourbon, t’as plus qu’à brancher Lanegan
et il achèvera la purge de sang noir qui obstrue la vue.
Il
est là, à ce point précis, mon souvenir musical dans la décharge
du trop-plein dans l’écoute de Lanegan. Bien sûr, c’est très
perso, très exacerbé peut-être mais je n’aime pas l’eau tiède.
Lui nourrit son gouffre, et donc le tien, par l’art et non par la
connerie sociale. Cette mélancolie musicale, parfois violente dans
les rythmes et les paroles, apaise comme une saignée. Un tatouage a
un peu le même effet sur le corps et l’esprit dans la douleur de
l’acte. Lanegan est tatoué, ses mains entre autres, et je le vois
les garder bien accrochées au pied de micro en concert comme si le
vent balaierait bientôt tout dans un souffle. Lanegan sait que le
temps passe et il se tient à son micro et ses tatouages.
Dans
une partie de son répertoire, il y a de nombreuses références
bibliques, comme c’est assez courant ces temps-ci, notamment de
l’Ancien Testament. Elles m’ont ramenée à l’enfance,
récemment. À Wallis, entre 86 et 90, je fréquentais une petite
école publique dont les instituteurs avaient été formés par des
sœurs. Dans la minuscule bibliothèque, se trouvaient de grands
volumes de l’Ancien Testament en bande dessinée. C’est une
manière simple de boucler la boucle en disant que Lanegan a
réconcilié l’adulte et la gosse en moi, en ramenant un souvenir
égaré à la surface, en sortant la grosse artillerie du temps de
l’enfance.