À la fois du Nord de la France et de Toulouse Pascal Dessaint est écrivain. Depuis 1995 ses livres sont édités par François Guérif chez Rivages. Il aime aussi Cendrars, les oiseaux, la nature et Léo Ferré.
Pour tout bagage, j'ai vingt ans… Vous me voyez venir… Il n'y a pas un jour alors sans que j'écoute Léo Ferré. Il va bien, je trouve, avec mon auteur fétiche du moment, Charles Bukowski. Oui, Ferré et Bukowski vont bien ensemble. Je suis étonné que personne, jamais, ne les associe. J'ai vingt ans et ils sont, comme qui dirait, mes figures tutélaires. Je lis et relis "Les contes de la folie ordinaire" et peux écouter en boucle "La Mémoire et la mer". Et arrive ce soir fabuleux ! Je suis étudiant en histoire à Lille, on est en 1984, et Léo Ferré va se produire sur scène ! C'est une année turbulente. Je ne me souviens plus si c'est avant ou après, mais la venue du leader du Front National provoque une manifestation qui dégénère sévèrement, ça finit en bagarres, les manifestants sont poursuivis dans toute la ville. Le noir est ma couleur. Ce récital marque un tournant. C'est comme si je terminais ma mue, je finis de comprendre ce que je suis profondément. La salle se remplit. Je me retrouve tout en haut, trop loin. Si je me souviens bien, la scène est vide, il n'y a que ce grand rideau rouge, et Léo s'avance, tout habillé de noir, et le public applaudit à s'en exploser les mains, ça dure longtemps et enfin Léo commence : "Écoute, écoute... Dans le silence de la mer, il y a comme un balancement maudit qui vous met le coeur à l'heure, avec le sable qui se remonte un peu, comme les vieilles putes qui remontent leur peau, qui tirent la couverture…" Un frisson me parcourt l'échine. Oui, Léo commence par "Il n'y a plus rien…" Il faut oser ! Je sais que le poète ose tout ! "Il n'y a plus rien… Rien ne vaut la peine de rien…" et pour moi, soudain, j'ai l'impression que tout commence.