Julien Védrenne se souvient de cet air

Julien Védrenne pae Caroline de Benedetti


Julien Védrenne, le créateur et animateur du site K-Libre, sera à Mauves En Noir les 13 & 14 Avril 2013. Avec ses auteurs invités, il animera un table ronde ayant pour thème le Cinéma dimanche à 15 h. En attendant ce jour il nous livre son souvenir musical pour Duclock...

J'étais étudiant au sortir d'une scolarité à la fin chaotique - un Bac C obtenu je ne sais comment. La première année de Fac a été un véritable massacre, scientifiquement parlant, une vraie réussite humainement causant. J'ai passé des soirées à refaire le monde dans l'appartement déserté du père d'un ami, engoncé dans un fauteuil usé avec au-dessus de ma tête un tableau accroché à l'envers. Il y avait toujours un moment où - une fois une énième bière finie - la faim se faisait ressentir alors c'était l'heure du jambon sous cellophane par tranches de douze avec des pâtes et un mauvais gruyère râpé. Nous étions entre deux et cinq. Nous causions littérature, stratégie au tarot, regardions des matches de boxe - la pureté des frappes de Jean-Baptiste Mendy -, et écoutions en boucle Bone Machine, de Tom Waits. L'album était sorti en 1992. De Tom Waits, je ne connaissais que le génial Rain Dogs. "I Don'T Wanna Grow Up". Jim Jarmusch avait réalisé un clip étrange pour le non moins étrange chanteur qui, pour avoir la voix des bluesmen noirs américains - légende ou pas ? - avait fumé comme un pompier et bu comme un marin. Il y avait quelque chose d'absurde dans la nuit havraise à entonner le refrain sur un balcon entre copains éméchés, puis à déblatérer sur Paul Morand, Henri Michaux et Pierre Drieu La Rochelle. Il y avait à un moment donné une partie d'échecs qui se lançait sans moi. Il faut dire qu'à Gonfreville, petite commune non loin du Havre, il y avait un gros club. Certains de mes amis étaient capables de me battre les yeux vraiment fermés, et je ne supporte pas la défaite, surtout quand elle est inévitable. Enfin, je rentrais dans mon appartement, mon CD sous le bras et cet air, et ces questions qui sont toujours d'actualité : 

How do you move in a world of fog 
That's always changing things 
Makes me wish that I could be a dog 
When I see the price that you pay 
I don't wanna grow up