Voulez-vous assister à la génèse d’un monstre ? Mais qu’est ce qu’un monstre ? À partir de quel moment l’individu se voit soudain privé de sa condition d’humain pour être ainsi rebaptisé ?
Hafed Benotman racontait très bien dans Eboueur sur échafaud le parcours d’un enfant vers la délinquance. Frédéric Jaccaud raconte ici le chemin vers le meurtre. C’est encore plus effrayant que s’il déroulait des pages de cadavres sanglants pour plaire à tous ces lecteurs qui réclament du « thriller haletant ». Il se distingue également dans le soin porté à son écriture. Gamme de vocabulaire, construction de phrases qui ne se sentent pas obligées de « claquer » et arrivent tout aussi bien à créer une grosse ambiance... La structure narrative également, - portée par un « je » inconnu qui témoigne d’une histoire avant que le doute sur sa personnalité ne s’installe - est bien pensée.
Deux récits vont alterner. Celui de deux frères, Thomas et Raymond, unis dans un univers imaginaire, celui des jeux de rôle, qui leur fait enfourcher leurs vélos comme si c’étaient des chevaux. L’enfance, une période mythique aux yeux des adultes, mais derrière laquelle se cache parfois violences et humiliations. Puis vient le récit d’un vieil homme enfermé dans un hôpital (mais ne serait-ce pas un prison ?) « Névropathe, sociopathe, psychopathe, j’ai eu droit à tous les diagnostics, à tous les qualificatifs. Je ne suis rien de tout ça et tout à la fois, un mille-pathes, en quelque sorte.» Dans un futur indéterminé, où de curieux flocons tombent à l’extérieur, et « on sélectionne les embryons avant de les amener à terme ».
C’est une histoire de souffrance, une histoire mille fois racontée qui se nourrit de tous les genres, du personnage du tueur, du fantastique et de l’anticipation, de la poésie, du suspense... et chaque genre est maîtrisé en évitant tout tape à l'œil, comme une appropriation réussie.
« Ce vieil homme qui raconte son enfance, ou plutôt cet enfant raconté par un vieil homme, ne sont pas les monstres auxquels je m’attendais. » Et si la solution était « qu’il ne fallait pas chercher chez l’enfant de traumatisme autre que l’enfance elle-même. » Le monstre se trouve quelque part dans ce que subit parfois l’enfant. L’enfance monstrueuse. L’être, lui, demeure un humain.
Frédéric Jaccaud, Monstre (une enfance), calmann-lévy, 2010, 17 euros, 217 p.