Chère Caroline, cher Emeric,
Je suis assez régulièrement le blog de Duclock, plus pour la partie livres que pour la partie musique, et je me suis autorisé un commentaire l’autre jour en remerciant pour la chronique… qui était en fait une citation clairement indiquée de P. Bourdieu. J’ai donc commis un petit impair et vous m’en excuserez je le pense.
Ce retour vers Bourdieu m’a donné l’envie de voir le DVD de Pierre Carles La sociologie est un sport de combat. Un rhume, et la nécessité de rester au chaud, je me suis installé dans le fauteuil et l’écran. Ce n’est ni un documentaire d’exception, ni un film de qualité esthétique, mais l’essentiel y est.
Comme la psychanalyse l’a été pour le XXème siècle, la sociologie est devenue l’escroquerie du début du XXIème siècle. Dans les années 1980 – 2000, dès qu’un fait de société était mis en avant par les media, il y avait toujours un psychanalyste sur un plateau de télévision, dans un reportage radio ou dans les magazines pour «décrypter » ce fait de société, quelquefois un simple fait divers depuis retombé dans l’oubli. On en trouve encore sur France Inter, samedi 13 février par exemple Caroline Eliacheff, psychanalyste et pédopsychiatre, intéressante chroniqueuse sur France Culture, qui disait que les psychanalystes sont interrogés sur tout et sur rien et qu’il fallait se garder d’avoir un avis sur tout. Elle n’a pas précisé qu’il se trouve des psychanalystes pour répondre sur tout et ne rien vraiment dire sur rien. Ce qu’elle pourrait regretter, ce n’est pas que l’on pose de mauvaises questions mais qu’il se trouve des gens pour y répondre.
De nos jours, le « décryptage » est devenu l’apanage des sociologues dont on trouve toujours un exemplaire pour venir nous expliquer le fruit de son travail dont les références, le nombre de pages et le prix sont indiqués en fin d’article. Ce sociologue, disons le, est bien souvent enseignant et quelquefois sur au moins deux continents, confortablement installé dans la vie, et fréquemment appelé en consultation par les politiques dans les commissions destinées à étudier les problèmes de société. Le verbiage de ce sociologue ne sera pas le moindre des remblais qui permettront d’enterrer l’étude du problème…
Les magazines, je citerai comme exemple Télérama que je connais bien, sont friands de ces « doxosophes » qui viennent éclairer les opinions des bien-pensants de gauche comme de droite et j’ai relevé dans deux magazines, l’un de janvier de cette année (Télérama) et l’autre de février (Cfdt Magazine) un amusant « tic » de média : les photos (voir ci-après). Les deux sociologues avancent la bouche presque masquée comme s’il allait en sortir un secret que le sociodoxe partagera avec le seul lecteur apte à le comprendre...
Nous avons affaire à des mises en scènes de media, media d’accompagnement d’une pensée normée et calibrée qui est non seulement celle de l’ensemble de la classe politique mais aussi celle de la majorité de l’électorat.
Revenons donc à Bourdieu en citant Mme Eliacheff qui disait samedi que la psychanalyse est subversive sous réserve que ceux qui la portent soient eux-mêmes subversifs. Les intervenants chéris des média n’ont rien de subversif, ce sont pour la plupart des gens au portefeuille solide, aux relations de qualité. Bourdieu participait lui aussi de cette caste mais il le savait et savait le reconnaître. Quand il dit que la sociologie est un sport de combat, il veut dire que la sociologie donne des armes pour combattre ceux qui nous attaquent, mais que l’on ne peut pas s’en servir pour porter de « mauvais » coups. Il sait qu’il a des collègues de toutes farines, prompts à s’acoquiner partout où ils pourront « collaborer » avec l’adversaire, ce sont ceux qu’il appelle « des jaunes » dans le film de Carles.
Je finirai donc sur une citation de Bourdieu proche de la votre : « Pour moi, les doxosophes, ce sont les savants apparents de l’opinion, ou des apparences, c’est-à-dire les sondeurs et les analystes des sondages, ces gens qui nous font croire que le peuple parle, que le peuple ne cesse de parler sur tous les sujets importants. Mais ce qui n’est jamais mis en question, c’est la production des problèmes qui sont posés au peuple. » (Les usages sociaux de la science )
Je vous remercie donc de parler de Bourdieu et vous encourage à continuer.
Amicalement.
Pierre.
Je suis assez régulièrement le blog de Duclock, plus pour la partie livres que pour la partie musique, et je me suis autorisé un commentaire l’autre jour en remerciant pour la chronique… qui était en fait une citation clairement indiquée de P. Bourdieu. J’ai donc commis un petit impair et vous m’en excuserez je le pense.
Ce retour vers Bourdieu m’a donné l’envie de voir le DVD de Pierre Carles La sociologie est un sport de combat. Un rhume, et la nécessité de rester au chaud, je me suis installé dans le fauteuil et l’écran. Ce n’est ni un documentaire d’exception, ni un film de qualité esthétique, mais l’essentiel y est.
Comme la psychanalyse l’a été pour le XXème siècle, la sociologie est devenue l’escroquerie du début du XXIème siècle. Dans les années 1980 – 2000, dès qu’un fait de société était mis en avant par les media, il y avait toujours un psychanalyste sur un plateau de télévision, dans un reportage radio ou dans les magazines pour «décrypter » ce fait de société, quelquefois un simple fait divers depuis retombé dans l’oubli. On en trouve encore sur France Inter, samedi 13 février par exemple Caroline Eliacheff, psychanalyste et pédopsychiatre, intéressante chroniqueuse sur France Culture, qui disait que les psychanalystes sont interrogés sur tout et sur rien et qu’il fallait se garder d’avoir un avis sur tout. Elle n’a pas précisé qu’il se trouve des psychanalystes pour répondre sur tout et ne rien vraiment dire sur rien. Ce qu’elle pourrait regretter, ce n’est pas que l’on pose de mauvaises questions mais qu’il se trouve des gens pour y répondre.
De nos jours, le « décryptage » est devenu l’apanage des sociologues dont on trouve toujours un exemplaire pour venir nous expliquer le fruit de son travail dont les références, le nombre de pages et le prix sont indiqués en fin d’article. Ce sociologue, disons le, est bien souvent enseignant et quelquefois sur au moins deux continents, confortablement installé dans la vie, et fréquemment appelé en consultation par les politiques dans les commissions destinées à étudier les problèmes de société. Le verbiage de ce sociologue ne sera pas le moindre des remblais qui permettront d’enterrer l’étude du problème…
Les magazines, je citerai comme exemple Télérama que je connais bien, sont friands de ces « doxosophes » qui viennent éclairer les opinions des bien-pensants de gauche comme de droite et j’ai relevé dans deux magazines, l’un de janvier de cette année (Télérama) et l’autre de février (Cfdt Magazine) un amusant « tic » de média : les photos (voir ci-après). Les deux sociologues avancent la bouche presque masquée comme s’il allait en sortir un secret que le sociodoxe partagera avec le seul lecteur apte à le comprendre...
Nous avons affaire à des mises en scènes de media, media d’accompagnement d’une pensée normée et calibrée qui est non seulement celle de l’ensemble de la classe politique mais aussi celle de la majorité de l’électorat.
Revenons donc à Bourdieu en citant Mme Eliacheff qui disait samedi que la psychanalyse est subversive sous réserve que ceux qui la portent soient eux-mêmes subversifs. Les intervenants chéris des média n’ont rien de subversif, ce sont pour la plupart des gens au portefeuille solide, aux relations de qualité. Bourdieu participait lui aussi de cette caste mais il le savait et savait le reconnaître. Quand il dit que la sociologie est un sport de combat, il veut dire que la sociologie donne des armes pour combattre ceux qui nous attaquent, mais que l’on ne peut pas s’en servir pour porter de « mauvais » coups. Il sait qu’il a des collègues de toutes farines, prompts à s’acoquiner partout où ils pourront « collaborer » avec l’adversaire, ce sont ceux qu’il appelle « des jaunes » dans le film de Carles.
Je finirai donc sur une citation de Bourdieu proche de la votre : « Pour moi, les doxosophes, ce sont les savants apparents de l’opinion, ou des apparences, c’est-à-dire les sondeurs et les analystes des sondages, ces gens qui nous font croire que le peuple parle, que le peuple ne cesse de parler sur tous les sujets importants. Mais ce qui n’est jamais mis en question, c’est la production des problèmes qui sont posés au peuple. » (Les usages sociaux de la science )
Je vous remercie donc de parler de Bourdieu et vous encourage à continuer.
Amicalement.
Pierre.