Chtriky, interview d'Hervé Peyrard

Chtriky en concert, copyright photo Renaud Vezin

Ce doit être aux environs de Demandez à la poussière, la quatrième chanson du deuxième album de Chtriky, que je me suis dit : "hé, il se passe quelque chose là, il faut que je me renseigne sur ces gaziers" et votre Docteur des oreilles a pris contact via internet avec Hervé Peyrard auteur compositeur, chanteur, guitariste, clarinettiste au sein de Chtriky. Grand bien nous fasse, Hervé a des choses à dire !


Dj Duclock : Pour commencer, Hervé, je peux t'appeler Hervé hein ? Une question assez large... D'où vient Chtriky ?

Hervé Peyrard : Cher Emeric, je peux t'appeler Emeric ? ! Chtriky est le verlan de Qui triche, donc les Chtriky sont l'envers de ceux qui trichent, les sincères, les coeurs purs ! ! ! :-)
Blague à part la notion de tricherie est importante dans le spectacle, car sur scène on n'est pas vraiment nous-mêmes, on fait style, on compose, on se cache derrière un personnage, et c'est à ce prix qu'on délivre une émotion que, peut-être, la pudeur nous empêcherait de donner si nous étions vraiment nous-mêmes. Sur scène il faut tricher pour être sincère, joli paradoxe, non ?
Mais Chtriky est avant tout un groupe qui s'est formé en trio en 2006 et aujourd'hui nous sommes 5 sur scène et on vient de sortir un nouvel album, Jouer des jours.

Dj Duclock : Et géographiquement ? Est-ce qui Chtriky a un pied à terre quelque part ?

Hervé Peyrard : Le siège de Vribody Prod, structure qui produit Chtriky, est basé à Montélimar (26), dans la vallée du Rhône. Les différents membres de l'équipe habitent la Drôme ou l'Ardèche dans un rayon de 50 kms, sauf un dissident, le bassiste, un ardéchois qui s'est exilé à côté de Nancy, mais comme il est bon on lui pardonne et on s'organise pour les répétitions ! ! !
On vient de faire une résidence et la création du nouveau spectacle (novembre 09) au Train-Théâtre de Portes les Valence. Une très belle salle de 500 places conventionnée Scène Chanson, dynamique, avec une très bonne programmation. C'est le lieu de référence en musique et chanson dans notre région.

Dj Duclock : Et musicalement, quelles sont les racines de Chtriky, les influences ?

Hervé Peyrard : On aime à dire, même si le mot est galvaudé, qu'on fait de la variété, de la musique variée !
Les influences sont diverses au sein de Chtriky. Sylvain Hartwick, guitariste et Ludovic Chamblas, batteur/percussionniste, fondateurs avec moi du groupe, viennent tous les deux du rock, voir du métal, et ils ont tous deux une grande culture musicale. Quant à moi ma culture musicale est beaucoup plus orientée chanson, Brassens, Higelin, Souchon, Barbara, mais je suis aussi fan de Tom Waits.
Jusqu'à présent, quand on travaille sur les arrangements on cherche la couleur musicale de chaque chanson comme une entité à part entière, on ne cherche pas un style pour l'ensemble de l'album, on se sert de toutes nos influences. On pense les chansons comme des petites histoires, des petits scénarii et on essaye de trouver le bon décor. On est conscient de faire des "chansons", donc avec un texte, et on s'astreint à toujours servir ce texte. Ensuite on fait confiance à notre sensibilité, notre façon d'interpréter les chansons, ce qu'on y met de nous dedans pour faire la cohérence du disque.

Dj Duclock : Tu cites Brassens, Higelin, Souchon et Barbara, des auteurs et compositeurs qui commencent à avoir de la bouteille. Mais à l'heure actuelle, là, aujourd'hui dans le froid soleil d'hiver de ce début d'année... En chanson française et francophone disons, apparue ces 10 dernières années, qu'écoutes-tu ?



Hervé Peyrard : J'écoute Sanseverino, j'aime sa façon de chanter, sa fantaisie musicale et ses textes totalement braques !
J'écoute Jamait que je considère comme un grand interprète, totalement en accord avec sa poésie avec une voix magnifique.
Loïc Lantoine et Allain Leprest qui ont une puissance poétique bouleversante. Ce sont de très grands auteurs qui en plus de ça parviennent à se transcender sur scène, ils ont l'un es l'autre l'aura d'un Brel ou d'une Piaf, ils habitent chaque centimètre du plateau, rien ne peut les arrêter.
J'écoute aussi Bernard Joyet, Gérard Morel, Anne Sylvestre, Michèle Bernard, magnifiques auteurs également avec une très grande exigence.
J'écoute Nicolas Jules, Xavier Lacouture, Fred Bobin, Hervé Lapalud, Batlik, Thomas Pitiot, Entre 2 Caisses, et d'autres qui occupent la scène chanson avec pour chacun d'entre eux un univers fort, des voix, des textes. La scène chanson française actuelle ne manque pas de talents ! Et si quelqu'un vous assène ce vieux poncif comme quoi on ne retrouvera plus des chanteurs comme Brel ou Brassens ou autres, que je citais plus haut, vous pouvez l'envoyer faire un tour dans les théâtres, il verra qu'il se trompe !

Dj Duclock : Sanseverino, Jamait, Loïc Lantoine, Allain Leprest, Bernard Joyet, Gérard Morel, Anne Sylvestre, Michèle Bernard, Nicolas Jules, Xavier Lacouture, Fred Bobin, Batlik... voilà des noms qui font plaisir à entendre ! Bon sang je ne connais pas Hervé Lapalud, Entre 2 Caisses ni Thomas Pitiot, m'est avis que ce début d'année va être riche en découvertes pour mézique. Comme tu dis, souvent quand on parle chanson française les gens disent qu'il n'y a plus de Brassens de Brel ou de Léo Ferré ; as-tu une idée sur la chose ? Le manque de curiosité ? Le passéisme ? La plupart des "grands médias" qui ne diffusent pas les noms cités plus haut (à part Sanseverino qui a fait son trou à un moment sur les ondes) ? J'aimerais avoir ton avis sur la question.

Hervé Peyrard : Je pense en effet que les médias y sont pour beaucoup, même le service public est phagocyté par les majors, il y a très peu, voir pas du tout d'espace pour les productions plus modestes, alors qu'elles représentent un véritable vivier, très riche artistiquement. Mais ce n'est pas nouveau, de son temps Boby Lapointe n'était pas du tout reconnu par exemple et c'est le cas de plein d'autres. Mais ce n'est pas grave, quand on fait le métier du spectacle, qu'on tourne dans les salles, dans les théâtres un peu de partout en France, on se rend compte que la curiosité du public est vivace, je ne sens pas du tout de passéisme de la part du public, il a au contraire soif de nouveauté, de voir autre chose que ce qu'il peut voir à la télé. Ceci dit, il ne faut pas oublier le "déséquilibre" entre les grands médias et le spectacle vivant ; un spectacle qui marche bien et qui tourne toute l'année dans des belles salles de 1000 places fera de toute façon beaucoup moins de monde en un an de tournée que le premier star académicien venu en un seul passage télé ! Alors bien sûr la majorité des gens pensent qu'il n'y plus d'artistes de la trempe des Brel, ou Ferré, mais heureusement, il y en a quand même beaucoup qui savent que c'est faux ! Et puis les grands médias ne diffusent pas non plus que de la soupe, on a cité Sansévérino, mais on peut parler d'Arthur H, Jeanne Cherhal, de M, d'Olivia Ruiz et d'autres qui sont des artistes inventifs, de grand talent. Mais c'est vrai que les chanteurs dits "à texte" ne sont légion sur les ondes !

Dj Duclock : Oui, m'est avis qu'il faut fouiller et être curieux. Je vais maintenant te poser les 3 questions du Dj Duclock... Tout d'abord : Que lis-tu en ce moment comme bouquin ou quel est le dernier bouquin que tu as lu ?

Hervé Peyrard : Je suis en train de terminer La route de Cormac Mc Carthy. Une adaptation ciné vient de sortir, mais je ne l'ai pas vue, et je n'irai sûrement pas, car le roman est très bien. L'écriture est vraiment très belle, concise et forte. j'avais déjà lu Un enfant de dieu de cet auteur, très bien aussi. De toute façon j'ai un faible pour les auteurs américains, Fante, Brautigan, Carver...

Dj Duclock : Ah oui La Route c'est une sacrée claque ! Et la trace de la main reste longtemps sur la joue... Et dis moi, qu'est-ce qui tourne en ce moment sur la platine ? Le disque que tu écoutes.

Hervé Peyrard : Sur ma platine en ce moment, le dernier Live de Tom Waits Glitter et Doom Live, terrible ! le dernier Sansévérino Faux Talbins, bien déjanté comme d'hab', voir plus ! et des fabulettes d'Anne Sylvestre car il y a chez moi une petite Léna qui a tendance à squatter la platine !

Dj Duclock : Et voici la dernière question, pas la plus facile. Peux-tu nous raconter la dernière fois où tu as été surpris ? En musique ou pour autre chose...

Hervé Peyrard : Pas facile en effet !
Mais j'ai vu des extraits de la conférence de presse donnée récemment par notre président et je suis resté sans voix devant la façon qu'il a de parler aux journalistes, l'arrogance et le mépris à leur encontre, le rapport étrange qu'il entretient avec eux, et surtout le ton de son discours, les journalistes sont dans leurs petits souliers comme des élèves face à un instituteur sévère des années 60. Il n'y a pas besoin d'être un grand spécialiste pour comprendre entre les lignes de qu'il leur dit, ce qu'il nous dit : j'ai le pouvoir, je compte bien le garder et je vous emmerde !
Je crois que ce qui n'en finit pas de me surprendre c'est cette dichotomie qu'il y a entre nous autres citoyens et ceux qui dirigent le pays. Le fossé se creuse de jour en jour et je reste toujours interdit quand je vois avec quelle facilité les politiques peuvent dire ou faire n'importe quoi en toute impunité. Attention, je ne suis pas en train de dire " Politiques tous pourris !", je ne mets pas tout le monde dans le même panier, c'est beaucoup plus complexe, et je sais qu'il y a des élus qui prennent à coeur leur fonction et qui travaillent pour améliorer nos vies à tous. Mais les grands médias et la classe dirigeante font une sorte de tambouille malsaine qui nourrit une pensée unique et formatée à laquelle il est difficile d'échapper. Et je crois que ce me surprend le plus finalement, c'est ma, c'est notre, propre incapacité à réagir !
Bon vous êtes content ?! maintenant avec cette dernière question l'interview se termine mal !
Heureusement il y a enfin de la neige sur les montagnes, je vais pouvoir aller respirer un air digne de ce nom et descendre les pistes comme un gueudin en me disant que la vie a du bon !