"Après la mort de Dieu, après l'effondrement des utopies, sur quel socle intellectuel et moral voulons nous bâtir notre vie commune ?" C'est sur cette question que s'ouvre L'Esprit des lumières de Tzetan Todorov. Une question qui tombe à point nommé au moment où il me semble bien que nous vivons une situation quelque peu dangereuse - voire schizophrénique - quand l'on nous dit, entre autres discours contradictoires, qu'il faut travailler plus tout en allant vers une société de loisirs... Je ne résiste pas à vous présenter la photo de l'édition de Ouest France du 1er Septembre 2009 accompagnée de son "supplément gratuit". Elle parle d'elle- même. Une société ainsi écartelée ne prend-elle pas le risque de sombrer dans la folie ?
Voici donc une tentative de résumé, émaillée de quelques citations et remarques qui font suite à la lecture de L'Esprit des Lumières de Tzvetan Todorov.
"Ayant rejeté le joung ancien, les hommes fixeront leurs nouvelles lois et normes à l'aide de moyens purement humains - plus de place ici pour la magie ni pour la révélation. À la certitude de la Lumière descendue d'en haut viendra se substituer la pluralité des lumières qui se répandent de personnes à personnes." (1)
A l'heure ou les débats d'idées sont bien pauvres dans les médias dominants, Tzetan Todorov dégage les grandes lignes de L'Esprit des Lumières qui ont déterminé en grande partie notre façon de penser et nos sociétés occidentales actuelles. Le livre rappelle les grandes lignes de ces courants de pensées : privilégier ce que l'on choisit soi-même au détriment de ce qui nous est imposé par une autorité extérieure ; c'est l'émancipation et l'autonomie. La désacralisation des dogmes et des institutions. La connaissance du monde n'a alors que deux sources : la raison et l'expérience. L'Homme doit donner un sens à son existence terrestre, l'État ne se met pas au service du Divin, mais du bien-être des citoyens... La séparations des pouvoirs, la défense de l'Individu, l'égalité de droit... la pluralité des idées, le débat, les droits de l'homme... Ces rappels sont donnés dans la partie Projet du livre. Ils peuvent d'ores et déjà donner envie de se plonger dans la riche littérature d'essais qui précédent (et suivent) la révolution française.
La partie Rejets et Détournements explore les attaques qui sont faites à l'encontre de L'Esprit des Lumières : avoir mis l'Homme à la place de dieu ; avoir fourni les fondements idéologiques du colonialisme ; avoir produit le totalitarisme (une idée, nous rappelle Tzvetan Todorov, principalement défendue par des auteurs chrétiens comme Soljenitsyne ou les autorités catholiques comme Jean Paul II). Il profite de cette partie pour pointer les "dérives" du communisme qui se réclame de l'Esprit des Lumières et qu'il qualifie de "religion politique" où "les individus sont obligés de se sacrifier à l'autel d'un lointain salut collectif". Selon Todorov le colonialisme - qui sert en fait le nationalisme et non pas l'humanisme - et le communisme sont des détournements de l'Esprit des Lumières tout comme le scientisme ; "Un tel scientisme sera effectivement utilisé par les régimes totalitaires du XXème siècle pour justifier leur violence. Sous prétexte que les lois de l'histoire, révélées par la science, annoncent l'extinction de la bourgeoisie, le communisme n'hésitera pas à exterminer les membres de cette classe. Sous prétexte que les lois de la biologie, révélées par la science, démontrent l'infériorité de certaines "races", les nazis mettront à mort ceux qu'ils identifient comme leurs membres."(2). Et de rappeler que "La morale des Lumières, elle, est non subjective mais intersubjective : les principes du bien et du mal font l'objet d'un consensus, qui est potentiellement celui de toute l'humanité, et que l'on établit en échangeant des arguments rationnels, fondés donc également sur une caractéristique humaine universelle."(3) Cette partie est un peu courte... On aurait bien aimé, par exemple, quelques paragraphes sur l'Esprit des Lumières et le libéralisme économique (cette partie sera semble-t-il traitée plus en avant dans Mémoire du mal, tentation du bien autre ouvrage de Tzvetan Todorov), ou L'Esprit des lumières et l'Anarchisme puisque la déclaration universelle des droits de l'Homme inscrit la propriété privée comme un droit "La propriété étant un droit inviolable et sacré (tiens, on croise là le mot sacré), nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité." (4) Quoi que ce droit à la propriété privée soit tempéré par "la nécessité publique".
S'ouvre ensuite une reprise de plusieurs débats du XVIIIème siècle avec des passerelles conduisants à notre époque :
Autonomie - où on croise, Hume, Montesquieu, Condorcet et surtout Rousseau, et où Sade est écorné. Une passerelle est faite avec notre temps avec la "globalisation économique" et la circulation des capitaux, le "terrorisme international" et les médias de masse (ou grands médias) qui orientent l'information et affaiblissent l'esprit critique. Cela reste très général mais il y a des pistes de réflexion. Je reste cependant très dubitatif sur l'analyse limitée du terrorisme international que propose Tzvetan Todorov : "Les attentats perpétrés récemment ici ou là ne sont pas le fait d'État conduisant une politique agressive, mais d'individus ou de groupes d'individus. Avant, seul un État, et encore parmi les plus puissants, pouvait organiser une action aussi complexe que les explosions de New York ou d'Istanbul, de Madrid ou de Londres ; cette fois-ci elle a été l'oeuvre de quelques dizaines de personnes"(5). Il faudrait prendre en compte les millions d'Euros qui ont du être dépensés pour de telles attaques et connaître un peu plus les implications. En fin de chapitre il est rapellé que "Sans sa contrepartie positive, le discours critique tourne dans le vide. Le scepticisme généralisé et la dérision systématique n'ont que l'apparence de la sagesse ; en détournant l'Esprit des lumières, ils créent un solide obstacle à son action." (6) Ce rappel me paraît salvateur.
Laïcité - où on croise Voltaire, Rousseau, Condorcet et Cesare Beccaria. La séparation de l'État et de la religion est posée, mais c'est une autre religion que Todorov évoque aussi avec l'aide de Condorcet et Waldemar Gurian : "La religion politique" ou "Idéocracie" qui impose une sacralisation du pouvoir politique dont les régimes totalitaires : fascistes, communistes et nazis sont les représentants. En remplaçant et en supplantant la religion, la société serait alors totalement soumise à l'État. "Les régimes totalitaires (...) passent d'une première phase "théocratique", au cours de laquelle le Parti contrôle l'État, à une seconde phase "césaropapiste", le Parti se mettant au service de l'État (...) ce nouveau type de fusion entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel élimine plus radicalement que jamais la liberté individuelle assurée par la laïcité, en raison précisément de son emprise totalitaire" (7). Une idée à creuser. L'Islam "fondamentaliste" est aussi évoqué dans ce chapitre.
Vérité - où l'on croise Voltaire, Condorcet, Diderot Sade, Holbach, Vico, Montesquieu, Rousseau et Hume et où il est rappelé que "Voltaire attire notre attention sur ce fait : les religions sont multiples (lui parle de "sectes"), alors que la science est une. (8)" et où la distinction est faite entre d'un côté les religions, les opinions et les valeurs qui relèvent de la croyance ou de la volonté de l'individu et de l'autre la connaissance dont l'horizon n'est plus le bien, mais la vérité. "Défendre la liberté de l'individu implique que l'on reconnaisse la différence entre fait et interprétation, science et opinion, vérité et idéologie ; c'est en faisant appel au premier terme de ces oppositions, terme qui échappe à toute volonté, donc à tout pouvoir, que ce combat à une chance d'aboutir. (9)" Un chapitre fort intéressant qui apporte un élément de réponse à la phrase toute faite, trop souvent entendue, comme quoi la vérité n'existe pas et qui donne envie d'aller lire Condorcet. Les passerelles avec notre époque sont entres autres contenues ici : "Un sage gouvernement ne s'oppose pas à l'accroissement et à la propagation des connaissances. Mais son rôle s'arrête là ; en aucun cas il ne doit pousser le zèle jusqu'à contribuer lui-même à la progression de la vérité, car celle-ci n'est pas une affaire de volonté. La puissance publique ne doit pas enseigner ses choix en les camouflant en vérité .(...) Ce n'est pas au peuple de se prononcer sur ce qui est vrai ou faux, ce n'est pas au parlement de délibérer sur la signification des faits historiques du passé, ce n'est pas au gouvernement de décider ce qu'il faut enseigner à l'école (10)." Et Tzvetan Todorov de rappeler ce qu'est le moralisme ("le bien domine le vrai") et le scientisme ("les valeurs semblent découler de la connaissance et les choix politiques se travestissent en déductions scientifiques"). Et de rappeler que selon Condorcet, la puissance publique n'a pas le droit de décider où réside la vérité, principe que le gouvernement français semble avoir oublié puisque des lois - votées au Parlement - punissent toute révision ou négation du génocide du peuple juif durant la seconde guerre mondiale ou dicte aux manuels scolaires "le rôle positif de la présence française (sic) outre-mer, notamment en Afrique du Nord". Un autre point est soulevé : le fait que "la notion même de vérité puisse être tenue pour non pertinente." Malheureusement il n'est pas assez débattu dans cet ouvrage.
Humanité - rappelle la finalité de l'Esprit des Lumière : "Est bon ce qui sert à accroître le bien-être des hommes." On y croise une citation de Lavoisier tirée de ses mémoires : "Le but de toute institution sociale est de rendre le plus heureux qu'il est possible ceux qui vivent sous ses lois. Le bonheur ne doit pas être réservé à un petit nombre d'hommes, il appartient à tous." Et Tzvetan Todorov de poser des question, par exemple "(...) le développement pour le développement, la croissance pour la croissance. L'instance politique doit-elle se contenter d'entériner cette stratégie ? (...) les hommes (et les femmes) entreprennent-ils une carrière politique pour placer le pouvoir au service de certains idéaux, ou aspirent-ils seulement au pouvoir pour lui-même, leur unique horizon étant de le garder le plus longtemps possible ? (11)" Malheureusement la réponse semble claire...
Universalité - Une partie qui s'ouvre sur Rousseau, Defoe, Hélvétius, Montesquieu, Condorcet et Olympe de Gouges qui affirme que la race humaine est une et qui pose l'égalité "à la base des droits des citoyens et de la morale des hommes" (12). Avec Beccaria on aborde la question de la peine de mort et de la torture. Le "droit" d'ingérence est aussi discuté avec Pierre Bayle. Tout cela, encore une fois est rapide, mais donne des pistes de réflexion. On y croise aussi le "poliquement correct", avec ce rappel important : "Si les droits de l'Homme restent le seul repère incontestable dans l'espace public et se transforment en jauge de l'orthodoxie des discours et des actes, on entre dans l'espace du "politiquement correct" et du lynchage médiatique, version démocratique de la chasse aux sorcières : une sorte de surenchère vertueuse qui a pour effet de réprimer toute parole qui s'en écarte. Ce chantage moral apparaissant à l'arrière-plan de tous les débats est néfaste à la vie démocratique. Il entraîne une domination excessive du bien sur le vrai, et donne, du coup, une apparence de mensonge à tout ce qui se réclame bruyamment du bien, une apparence de vérité à tout ce qui s'oppose au discours dominant.(13)"
Le dernier chapitre du livre Les lumières et l'Europe, pointe le fait que l'on trouve des idées que l'on peut rattacher à l'Esprit des Lumières un peu partout dans le monde et à des époques différentes.... "En 1615, Ahmed Baba écrit un traité plaidant pour l'égalité des races et refusant donc toute légitimité aux pratiques esclavagistes (14)." Tzvetan Todorov veut ainsi prouver "l'universalité de l'idée des Lumières, nullement l'apanage des seuls européens" même si "c'est bien en Europe qu'au XVIIIème siècle s'accélère et se renforce ce mouvement, là que se formule la grande synthèse de pensée qui se répand ensuite sur tous les continents" (15). Et Todorov avance une hypothèse pour expliquer ce fait : L'Europe est multiple et sa pluralité favorise l'émulation.
Et Tzvetan Todorov de conclure que si le siècle des Lumières est passé, l'attitude à l'égard du monde que propose l'Esprit des Lumières - et qui nous a formé en grande partie - est un combat sans cesse renouvelé. C'est aussi une invitation à se replonger dans les penseurs du XVIIIème siècle à l'aune de ce qui se passe aujourd'hui en France, en Europe et dans le monde. Nous continuerons de lire Tzvetan Todorov avec Mémoire du Mal, Tentation du bien qui est aussi paru chez Robert Laffont en 2000 puis en biblio essais chez Le Livre de Poche.
Tzetan Todorov, L'Esprit des Lumières, biblio essais, Le Livre de Poche, 2007 première édition Robert Laffont, 2006, 188 pages, 6 euros.
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(1) Page 12. Tzvetan Todorov, L'Esprit des Lumières, biblio essais, Le Livre de Poche, 2007.
(2) Page 37. Idem. (3) Page 39. Idem
(4) Article 17 de la Déclaration Universelle des Droits de L'Homme.
(5) Page 52. Tzvetan Todorov, L'Esprit des Lumières, biblio essais, Le Livre de Poche, 2007.
(6) Page 56. Idem. (7) Page 68-69. Idem. (8) Page 75. Idem. (9) Page 78. Idem. (10) Page 79. Idem. (11) Page 102. Idem. (12) Page 111. Idem. (13) Page 117 et 118. Idem. (14) Page 124. Idem (15) Page 125. Idem.
Voici donc une tentative de résumé, émaillée de quelques citations et remarques qui font suite à la lecture de L'Esprit des Lumières de Tzvetan Todorov.
"Ayant rejeté le joung ancien, les hommes fixeront leurs nouvelles lois et normes à l'aide de moyens purement humains - plus de place ici pour la magie ni pour la révélation. À la certitude de la Lumière descendue d'en haut viendra se substituer la pluralité des lumières qui se répandent de personnes à personnes." (1)
A l'heure ou les débats d'idées sont bien pauvres dans les médias dominants, Tzetan Todorov dégage les grandes lignes de L'Esprit des Lumières qui ont déterminé en grande partie notre façon de penser et nos sociétés occidentales actuelles. Le livre rappelle les grandes lignes de ces courants de pensées : privilégier ce que l'on choisit soi-même au détriment de ce qui nous est imposé par une autorité extérieure ; c'est l'émancipation et l'autonomie. La désacralisation des dogmes et des institutions. La connaissance du monde n'a alors que deux sources : la raison et l'expérience. L'Homme doit donner un sens à son existence terrestre, l'État ne se met pas au service du Divin, mais du bien-être des citoyens... La séparations des pouvoirs, la défense de l'Individu, l'égalité de droit... la pluralité des idées, le débat, les droits de l'homme... Ces rappels sont donnés dans la partie Projet du livre. Ils peuvent d'ores et déjà donner envie de se plonger dans la riche littérature d'essais qui précédent (et suivent) la révolution française.
La partie Rejets et Détournements explore les attaques qui sont faites à l'encontre de L'Esprit des Lumières : avoir mis l'Homme à la place de dieu ; avoir fourni les fondements idéologiques du colonialisme ; avoir produit le totalitarisme (une idée, nous rappelle Tzvetan Todorov, principalement défendue par des auteurs chrétiens comme Soljenitsyne ou les autorités catholiques comme Jean Paul II). Il profite de cette partie pour pointer les "dérives" du communisme qui se réclame de l'Esprit des Lumières et qu'il qualifie de "religion politique" où "les individus sont obligés de se sacrifier à l'autel d'un lointain salut collectif". Selon Todorov le colonialisme - qui sert en fait le nationalisme et non pas l'humanisme - et le communisme sont des détournements de l'Esprit des Lumières tout comme le scientisme ; "Un tel scientisme sera effectivement utilisé par les régimes totalitaires du XXème siècle pour justifier leur violence. Sous prétexte que les lois de l'histoire, révélées par la science, annoncent l'extinction de la bourgeoisie, le communisme n'hésitera pas à exterminer les membres de cette classe. Sous prétexte que les lois de la biologie, révélées par la science, démontrent l'infériorité de certaines "races", les nazis mettront à mort ceux qu'ils identifient comme leurs membres."(2). Et de rappeler que "La morale des Lumières, elle, est non subjective mais intersubjective : les principes du bien et du mal font l'objet d'un consensus, qui est potentiellement celui de toute l'humanité, et que l'on établit en échangeant des arguments rationnels, fondés donc également sur une caractéristique humaine universelle."(3) Cette partie est un peu courte... On aurait bien aimé, par exemple, quelques paragraphes sur l'Esprit des Lumières et le libéralisme économique (cette partie sera semble-t-il traitée plus en avant dans Mémoire du mal, tentation du bien autre ouvrage de Tzvetan Todorov), ou L'Esprit des lumières et l'Anarchisme puisque la déclaration universelle des droits de l'Homme inscrit la propriété privée comme un droit "La propriété étant un droit inviolable et sacré (tiens, on croise là le mot sacré), nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité." (4) Quoi que ce droit à la propriété privée soit tempéré par "la nécessité publique".
S'ouvre ensuite une reprise de plusieurs débats du XVIIIème siècle avec des passerelles conduisants à notre époque :
Autonomie - où on croise, Hume, Montesquieu, Condorcet et surtout Rousseau, et où Sade est écorné. Une passerelle est faite avec notre temps avec la "globalisation économique" et la circulation des capitaux, le "terrorisme international" et les médias de masse (ou grands médias) qui orientent l'information et affaiblissent l'esprit critique. Cela reste très général mais il y a des pistes de réflexion. Je reste cependant très dubitatif sur l'analyse limitée du terrorisme international que propose Tzvetan Todorov : "Les attentats perpétrés récemment ici ou là ne sont pas le fait d'État conduisant une politique agressive, mais d'individus ou de groupes d'individus. Avant, seul un État, et encore parmi les plus puissants, pouvait organiser une action aussi complexe que les explosions de New York ou d'Istanbul, de Madrid ou de Londres ; cette fois-ci elle a été l'oeuvre de quelques dizaines de personnes"(5). Il faudrait prendre en compte les millions d'Euros qui ont du être dépensés pour de telles attaques et connaître un peu plus les implications. En fin de chapitre il est rapellé que "Sans sa contrepartie positive, le discours critique tourne dans le vide. Le scepticisme généralisé et la dérision systématique n'ont que l'apparence de la sagesse ; en détournant l'Esprit des lumières, ils créent un solide obstacle à son action." (6) Ce rappel me paraît salvateur.
Laïcité - où on croise Voltaire, Rousseau, Condorcet et Cesare Beccaria. La séparation de l'État et de la religion est posée, mais c'est une autre religion que Todorov évoque aussi avec l'aide de Condorcet et Waldemar Gurian : "La religion politique" ou "Idéocracie" qui impose une sacralisation du pouvoir politique dont les régimes totalitaires : fascistes, communistes et nazis sont les représentants. En remplaçant et en supplantant la religion, la société serait alors totalement soumise à l'État. "Les régimes totalitaires (...) passent d'une première phase "théocratique", au cours de laquelle le Parti contrôle l'État, à une seconde phase "césaropapiste", le Parti se mettant au service de l'État (...) ce nouveau type de fusion entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel élimine plus radicalement que jamais la liberté individuelle assurée par la laïcité, en raison précisément de son emprise totalitaire" (7). Une idée à creuser. L'Islam "fondamentaliste" est aussi évoqué dans ce chapitre.
Vérité - où l'on croise Voltaire, Condorcet, Diderot Sade, Holbach, Vico, Montesquieu, Rousseau et Hume et où il est rappelé que "Voltaire attire notre attention sur ce fait : les religions sont multiples (lui parle de "sectes"), alors que la science est une. (8)" et où la distinction est faite entre d'un côté les religions, les opinions et les valeurs qui relèvent de la croyance ou de la volonté de l'individu et de l'autre la connaissance dont l'horizon n'est plus le bien, mais la vérité. "Défendre la liberté de l'individu implique que l'on reconnaisse la différence entre fait et interprétation, science et opinion, vérité et idéologie ; c'est en faisant appel au premier terme de ces oppositions, terme qui échappe à toute volonté, donc à tout pouvoir, que ce combat à une chance d'aboutir. (9)" Un chapitre fort intéressant qui apporte un élément de réponse à la phrase toute faite, trop souvent entendue, comme quoi la vérité n'existe pas et qui donne envie d'aller lire Condorcet. Les passerelles avec notre époque sont entres autres contenues ici : "Un sage gouvernement ne s'oppose pas à l'accroissement et à la propagation des connaissances. Mais son rôle s'arrête là ; en aucun cas il ne doit pousser le zèle jusqu'à contribuer lui-même à la progression de la vérité, car celle-ci n'est pas une affaire de volonté. La puissance publique ne doit pas enseigner ses choix en les camouflant en vérité .(...) Ce n'est pas au peuple de se prononcer sur ce qui est vrai ou faux, ce n'est pas au parlement de délibérer sur la signification des faits historiques du passé, ce n'est pas au gouvernement de décider ce qu'il faut enseigner à l'école (10)." Et Tzvetan Todorov de rappeler ce qu'est le moralisme ("le bien domine le vrai") et le scientisme ("les valeurs semblent découler de la connaissance et les choix politiques se travestissent en déductions scientifiques"). Et de rappeler que selon Condorcet, la puissance publique n'a pas le droit de décider où réside la vérité, principe que le gouvernement français semble avoir oublié puisque des lois - votées au Parlement - punissent toute révision ou négation du génocide du peuple juif durant la seconde guerre mondiale ou dicte aux manuels scolaires "le rôle positif de la présence française (sic) outre-mer, notamment en Afrique du Nord". Un autre point est soulevé : le fait que "la notion même de vérité puisse être tenue pour non pertinente." Malheureusement il n'est pas assez débattu dans cet ouvrage.
Humanité - rappelle la finalité de l'Esprit des Lumière : "Est bon ce qui sert à accroître le bien-être des hommes." On y croise une citation de Lavoisier tirée de ses mémoires : "Le but de toute institution sociale est de rendre le plus heureux qu'il est possible ceux qui vivent sous ses lois. Le bonheur ne doit pas être réservé à un petit nombre d'hommes, il appartient à tous." Et Tzvetan Todorov de poser des question, par exemple "(...) le développement pour le développement, la croissance pour la croissance. L'instance politique doit-elle se contenter d'entériner cette stratégie ? (...) les hommes (et les femmes) entreprennent-ils une carrière politique pour placer le pouvoir au service de certains idéaux, ou aspirent-ils seulement au pouvoir pour lui-même, leur unique horizon étant de le garder le plus longtemps possible ? (11)" Malheureusement la réponse semble claire...
Universalité - Une partie qui s'ouvre sur Rousseau, Defoe, Hélvétius, Montesquieu, Condorcet et Olympe de Gouges qui affirme que la race humaine est une et qui pose l'égalité "à la base des droits des citoyens et de la morale des hommes" (12). Avec Beccaria on aborde la question de la peine de mort et de la torture. Le "droit" d'ingérence est aussi discuté avec Pierre Bayle. Tout cela, encore une fois est rapide, mais donne des pistes de réflexion. On y croise aussi le "poliquement correct", avec ce rappel important : "Si les droits de l'Homme restent le seul repère incontestable dans l'espace public et se transforment en jauge de l'orthodoxie des discours et des actes, on entre dans l'espace du "politiquement correct" et du lynchage médiatique, version démocratique de la chasse aux sorcières : une sorte de surenchère vertueuse qui a pour effet de réprimer toute parole qui s'en écarte. Ce chantage moral apparaissant à l'arrière-plan de tous les débats est néfaste à la vie démocratique. Il entraîne une domination excessive du bien sur le vrai, et donne, du coup, une apparence de mensonge à tout ce qui se réclame bruyamment du bien, une apparence de vérité à tout ce qui s'oppose au discours dominant.(13)"
Le dernier chapitre du livre Les lumières et l'Europe, pointe le fait que l'on trouve des idées que l'on peut rattacher à l'Esprit des Lumières un peu partout dans le monde et à des époques différentes.... "En 1615, Ahmed Baba écrit un traité plaidant pour l'égalité des races et refusant donc toute légitimité aux pratiques esclavagistes (14)." Tzvetan Todorov veut ainsi prouver "l'universalité de l'idée des Lumières, nullement l'apanage des seuls européens" même si "c'est bien en Europe qu'au XVIIIème siècle s'accélère et se renforce ce mouvement, là que se formule la grande synthèse de pensée qui se répand ensuite sur tous les continents" (15). Et Todorov avance une hypothèse pour expliquer ce fait : L'Europe est multiple et sa pluralité favorise l'émulation.
Et Tzvetan Todorov de conclure que si le siècle des Lumières est passé, l'attitude à l'égard du monde que propose l'Esprit des Lumières - et qui nous a formé en grande partie - est un combat sans cesse renouvelé. C'est aussi une invitation à se replonger dans les penseurs du XVIIIème siècle à l'aune de ce qui se passe aujourd'hui en France, en Europe et dans le monde. Nous continuerons de lire Tzvetan Todorov avec Mémoire du Mal, Tentation du bien qui est aussi paru chez Robert Laffont en 2000 puis en biblio essais chez Le Livre de Poche.
Tzetan Todorov, L'Esprit des Lumières, biblio essais, Le Livre de Poche, 2007 première édition Robert Laffont, 2006, 188 pages, 6 euros.
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(1) Page 12. Tzvetan Todorov, L'Esprit des Lumières, biblio essais, Le Livre de Poche, 2007.
(2) Page 37. Idem. (3) Page 39. Idem
(4) Article 17 de la Déclaration Universelle des Droits de L'Homme.
(5) Page 52. Tzvetan Todorov, L'Esprit des Lumières, biblio essais, Le Livre de Poche, 2007.
(6) Page 56. Idem. (7) Page 68-69. Idem. (8) Page 75. Idem. (9) Page 78. Idem. (10) Page 79. Idem. (11) Page 102. Idem. (12) Page 111. Idem. (13) Page 117 et 118. Idem. (14) Page 124. Idem (15) Page 125. Idem.