Antoine Chainas, Anaisthêsia
Antoine Chainas et les 3 questions, prolongées, du dj duclock
Antoine Chainas : Jérôme, de Jean-Pierre Martinet. Une splendide réédition chez Finitude. Au niveau de la noirceur, c'est du Céline puissance dix : autant dire que je suis obligé de marquer des pauses. Le style de cet écrivain, maudit d'entre les maudits, mort d'éthylisme à 49 ans, oublié de tous, hémiplégique, est absolument terrifiant. C'est même au-delà du noir : c'est gris. Définitivement gris. Gris bouteille, je dirais. Un véritable cri noyade : à l'étouffée. Bouleversant.
Je notule : Qu'écoutes-tu comme musique ces derniers temps, qu'est ce qui tourne sur la platine ?
Antoine Chainas : Metal Machine Music, de Lou Reed. Encore et toujours. En boucle. C'était l'album préféré de Lester Bangs... Comme lui, je pense, au-delà d'un refus radical du formatage et d'un superbe bras d'honneur à l'industrie musicale, c'est l'ambiguïté entretenue que j'aime. Arnaque totale ou pur chef-d'oeuvre ? Pour moi, la réponse est claire. Aujourd'hui (cette double galette date de 75), il serait totalement impossible de sortir pareil disque dans le circuit traditionnel.
Je notule : Qu'est-ce qui t'a surpris dernièrement... Quand as-tu été surpris pour la dernière fois ?
Antoine Chainas : Quand je me suis réveillé et que j'ai constaté que j'étais toujours en vie. Autant dire que je suis surpris tous les matins.
Je notule : Quelles différences fais-tu (ou ne fais-tu pas) entre Versus et Anaisthêsia, tant au point de vue de l'histoire que des personnages ou du style ?
Antoine Chainas : A mon avis, Versus possédait une tonalité plutôt chaude, brûlante. Pour Anaisthêsia, il s'agit a contrario d'une certaine froideur. Une vitrification, presque. C'est en tout cas ainsi que je vois les choses. Sinon, c'est toujours moi, quoi qu'on en dise, quoi qu'on en pense.
Je notule : Comment occupes-tu l'après écriture ? Promotion ? Repos ? Ecriture encore ?
Antoine Chainas, Anaisthêsia, Série Noire, 2009, 17,50 euros, 309p.
Je n'avais pas du tout apprécié Versus qui cumulait à mon sens beaucoup de défauts. Le roman ne m'ayant pas laissée indifférente - au contraire de ce qui arrive parfois avec des bouquins qui ne suscitent qu'ennui - j'ai eu envie de remettre le couvert. Après tout, on peut parfois passer à côté d'une lecture.
Dans Anaisthêsia je trouve la confirmation de ce qui m'avait rebutée avec Versus. Mais, d'une part le roman est plus court donc moins délayé, et d'autre part je trouve que le style a perdu en lourdeur. La noirceur est toujours là, celle qui fait la marque de fabrique d'Antoine Chainas, revendiquée et mise en avant. Mais quand Versus sentait encore les traces de colle et les filiations, Anaisthêsia me semble plus proche d'un travail personnel. Versus était desservi par une outrance dans l'orgie d'horreurs (les crimes, les cadavres, la revue de détail du club spécial dans lequel Nazutti s'égare...). Ici on retrouve un autre club un peu spécial, sexuel et pervers ; on a aussi droit à un personnage de flic fort en gueule qui ne cherche pas à se faire de potes, mais l'ensemble plus compact et épuré, pose une ambiance plus convaincante. La frontière que Chainas avait franchie avec Versus, il se tient en équilibre dessus dans Anaisthêsia. Pour ma part, cette histoire-là m'a embarquée, malgré l'écriture qui continue de m'agacer. Je persiste, encore un peu moins d'effets tape à l'oeil, et elle gagnerait en puissance. Puissance d'ailleurs atteinte (le flic qui raconte l'observation nocture de sa voisine malade...) quand s'effacent les phrases courtes, au découpage travaillé mais à l'effet artificiel. Tout cela à mon sens, bien entendu.
En résumé on a Désiré, flic Noir drogué et doté d'une cicatrice façon Frankenstein, une tueuse au nez escamotable, des personnages improbables calibrés galerie des monstres (Harry Crews paternité ?), et ça roule ! Le roman ne repose pas sur une intrigue (ce n'est pas du whodunit), le contexte, le propos, les hommes, retiennent bien plus l'attention. Sans oublier cette thématique du personnage insensible à la douleur, bête curieuse pour le monde autour, des médecins (le fameux docteur Zymanski - que l'on retrouve en titre du blog de l'auteur) au collègue en passant par lui-même. Symbole d'une société où l'individu peine à éprouver, ressentir. Une société où il faut se faire violence, sortir de la norme, se mettre en danger, pour se sentir vivants, à l'image de ces voix qui ouvrent les chapitres : malades, joueurs, sportifs, artistes...
"Certains préconisent la création de brigades spécifiques qui seraient reléguées à la périphérie et dévolues aux missions d'infiltration. Des brigades réservées aux nègres, des brigades réservées aux Arabes ou aux Asiatiques. L'argument étant qu'ils bossent mieux entre eux, qu'ils connaissent les règles obscures de leurs propres communautés. S'ils le pouvaient, ils relanceraient l'exploitation des champs de coton et la cueillette des noix de coco juste pour nous."
Dans Anaisthêsia je trouve la confirmation de ce qui m'avait rebutée avec Versus. Mais, d'une part le roman est plus court donc moins délayé, et d'autre part je trouve que le style a perdu en lourdeur. La noirceur est toujours là, celle qui fait la marque de fabrique d'Antoine Chainas, revendiquée et mise en avant. Mais quand Versus sentait encore les traces de colle et les filiations, Anaisthêsia me semble plus proche d'un travail personnel. Versus était desservi par une outrance dans l'orgie d'horreurs (les crimes, les cadavres, la revue de détail du club spécial dans lequel Nazutti s'égare...). Ici on retrouve un autre club un peu spécial, sexuel et pervers ; on a aussi droit à un personnage de flic fort en gueule qui ne cherche pas à se faire de potes, mais l'ensemble plus compact et épuré, pose une ambiance plus convaincante. La frontière que Chainas avait franchie avec Versus, il se tient en équilibre dessus dans Anaisthêsia. Pour ma part, cette histoire-là m'a embarquée, malgré l'écriture qui continue de m'agacer. Je persiste, encore un peu moins d'effets tape à l'oeil, et elle gagnerait en puissance. Puissance d'ailleurs atteinte (le flic qui raconte l'observation nocture de sa voisine malade...) quand s'effacent les phrases courtes, au découpage travaillé mais à l'effet artificiel. Tout cela à mon sens, bien entendu.
En résumé on a Désiré, flic Noir drogué et doté d'une cicatrice façon Frankenstein, une tueuse au nez escamotable, des personnages improbables calibrés galerie des monstres (Harry Crews paternité ?), et ça roule ! Le roman ne repose pas sur une intrigue (ce n'est pas du whodunit), le contexte, le propos, les hommes, retiennent bien plus l'attention. Sans oublier cette thématique du personnage insensible à la douleur, bête curieuse pour le monde autour, des médecins (le fameux docteur Zymanski - que l'on retrouve en titre du blog de l'auteur) au collègue en passant par lui-même. Symbole d'une société où l'individu peine à éprouver, ressentir. Une société où il faut se faire violence, sortir de la norme, se mettre en danger, pour se sentir vivants, à l'image de ces voix qui ouvrent les chapitres : malades, joueurs, sportifs, artistes...
"Certains préconisent la création de brigades spécifiques qui seraient reléguées à la périphérie et dévolues aux missions d'infiltration. Des brigades réservées aux nègres, des brigades réservées aux Arabes ou aux Asiatiques. L'argument étant qu'ils bossent mieux entre eux, qu'ils connaissent les règles obscures de leurs propres communautés. S'ils le pouvaient, ils relanceraient l'exploitation des champs de coton et la cueillette des noix de coco juste pour nous."
Antoine Chainas et les 3 questions, prolongées, du dj duclock
Je notule : Que lis-tu en ce moment ?
Antoine Chainas : Jérôme, de Jean-Pierre Martinet. Une splendide réédition chez Finitude. Au niveau de la noirceur, c'est du Céline puissance dix : autant dire que je suis obligé de marquer des pauses. Le style de cet écrivain, maudit d'entre les maudits, mort d'éthylisme à 49 ans, oublié de tous, hémiplégique, est absolument terrifiant. C'est même au-delà du noir : c'est gris. Définitivement gris. Gris bouteille, je dirais. Un véritable cri noyade : à l'étouffée. Bouleversant.
Je notule : Qu'écoutes-tu comme musique ces derniers temps, qu'est ce qui tourne sur la platine ?
Antoine Chainas : Metal Machine Music, de Lou Reed. Encore et toujours. En boucle. C'était l'album préféré de Lester Bangs... Comme lui, je pense, au-delà d'un refus radical du formatage et d'un superbe bras d'honneur à l'industrie musicale, c'est l'ambiguïté entretenue que j'aime. Arnaque totale ou pur chef-d'oeuvre ? Pour moi, la réponse est claire. Aujourd'hui (cette double galette date de 75), il serait totalement impossible de sortir pareil disque dans le circuit traditionnel.
Je notule : Qu'est-ce qui t'a surpris dernièrement... Quand as-tu été surpris pour la dernière fois ?
Antoine Chainas : Quand je me suis réveillé et que j'ai constaté que j'étais toujours en vie. Autant dire que je suis surpris tous les matins.
Je notule : Quelles différences fais-tu (ou ne fais-tu pas) entre Versus et Anaisthêsia, tant au point de vue de l'histoire que des personnages ou du style ?
Antoine Chainas : A mon avis, Versus possédait une tonalité plutôt chaude, brûlante. Pour Anaisthêsia, il s'agit a contrario d'une certaine froideur. Une vitrification, presque. C'est en tout cas ainsi que je vois les choses. Sinon, c'est toujours moi, quoi qu'on en dise, quoi qu'on en pense.
Antoine Chainas : Il n'y a pas vraiment d'après écriture : cela supposerait que l'entreprise ait une fin, ce qui n'est bien sûr pas le cas. Le labeur est continu et régulier. Quand je termine une chose, je passe à la suivante en espérant m'être un peu amélioré entre temps, simplement. Mais il y a évidemment des périodes hors écriture qui sont partagées entre mon travail "officiel" (je ne vis pas de l'écriture), la vie de famille, les amis... Rien que de très banal, en somme. Et puis aussi un peu de promotion : quand il me reste du temps et quand mon éditeur et mon attachée de presse menacent de débarquer au lever du jour pour me mettre, par les moyens les plus coercitifs, face à mes modestes obligations.
Antoine Chainas, Anaisthêsia, Série Noire, 2009, 17,50 euros, 309p.