Louise Michel, Benoît Delépine et Gustave Kervern


« On voulait faire un hommage à Louise Michel avec les deux prénoms des héros » explique Benoît Delépine. Louise Michel, la célèbre militante révolutionnaire qui a défendu ouvriers et chômeurs durant la Commune. Après le noir et blanc d’Aaltra et Avida, tout en hommage au surréalisme, à Dali, Bunuel, Kaurismaki... les réalisateurs Benoît Delépine et Gustave Kervern affirment leur univers.

Un 3e film avec le choix de la couleur, pour changer et parce que le noir et blanc ne se justifiait pas. Un coup de gueule avec pour base la fermeture d’une entreprise. Les ouvrières, figurantes Picardes qui portent leur métier sur leur visage, se retrouvent face au vide du hangar. « Plus ça va plus j’ai envie de dire aux gens de se bouger le cul. On hurle sur une montagne vide » dit Gustave Kervern. Alors, avec Yolande Moreau en recruteuse de tueur, les femmes s’unissent pour faire abattre leur patron. Sous une allure drôle sans être potache, tendre sans être mièvre, Louise Michel parle de solitude, d’analphabétisme, de prendre sa vie en main. Portraits d'éclopés qui s'unissent, pauvres et malades passés à la moulinette de l'humour féroce des deux comparses. Ils créent le rire et le malaise. Selon la conception que chacun a du cinéma, leur goût du bizarre agacera ou séduira, sans aucun doute il interpellera. Le discours fort et les thèmes multiples qu'ils nous servent appellent sans aucun doute un deuxième visionnage. Sans trop en dévoiler, on prêtera aussi attention à l'identité sexuelle et au travestissement, aux moyens de transports, à l'analyse politique... Bref, il faudrait être bien aveugle pour ne percevoir qu'une farce dans ce film qui n'en finit pas de se prêter à réflexion, longtemps après l'avoir vu.

Loin des comédies françaises habituelles, le film ne se satisfait pas d’un humour lisse et convenu. « Tout le monde dit, il y a des règles de comédie. Il y a une mécanique du rire à respecter. Nous, on fait l’inverse » précise Benoît Delépine. On ne doit pas rire des pauvres et des malades, on ne doit pas abuser des plans fixes, tout ce que font les deux réalisateurs. Belle récompense, voilà le film sélectionné pour le festival américain de Sundance.

J'ai été bluffée par le jeu de Yolande Moreau, si peu causante et tellement éloquente, jusque dans les postures de son corps. D'ailleurs Benoît Delépine le reconnaît, "Yolande, si elle avait dit non on n'aurait pas fait le film. On ne voyait pas qui d'autre aurait pu faire ce rôle." Bouli Lanners campe un tueur déjanté (cette tirade de paranoïaque dans sa voiture pourrie !) et son jeu est aussi remarquable que celui de Yolande. Tous deux sont accompagnés d'une palanquée de seconds rôles en forme de clin d'oeil pour achever cette galerie de tarés. Il faut absolument aller juger sur pièce. Ce que semblent avoir fait pas mal de spectateurs. Malgré une sortie avec 92 copies un 24 décembre, le film a démarré sa première semaine à 112 000 entrées !

On notera une bande-originale avec la chanson The lonely song de Daniel Johnston, Philippe Katerine, Gaëtan Roussel de Louise Attaque et un incroyable bluesman dans un bar.


En décembre dernier, j'ai eu le plaisir d'assister à la projection de Louise Michel, suivie d'une conférence de presse avec les deux réalisateurs, d'où sont tirés les extraits précédents. Une heure d'échanges très intéressants, complétés par mail avec les questions du dj duclock. Merci à eux pour leur gentillesse et leur disponibilité.

Gustave Kervern & les 3 questions du dj duclock (+1)

Je notule : Que lis-tu en ce moment ?

Gustave Kervern : Popi, Johan et Pirlouit, Tchoupi. Et oui vivement que mes enfants sachent lire !

Je notule : Qu'écoutes-tu en ce moment ? Qu'est-ce qui tourne sur la platine ?

Gustave Kervern : En te répondant, j'écoute un disque des Cramps. Juste avant j'écoutais Patti Smith et Arcade Fire. Et juste avant, j'écoutais Sur le pont d'Avignon avec ma fille.

Je notule : Quelle est ta dernière surprise ?

Gustave Kervern : En voyant les bons chiffres de fréquentation de notre film.
En voyant Edouard Baer avec les dogons.
En voyant Sarkozy qui veut supprimer les juges d'instruction.
En voyant les gens rire à un sketch de Franck Dubosc.
Je vais donc de surprises en surprises.

Je notule : Comment se sont déroulés les choix pour la bande originale de Louise Michel ? Quelle part y as-tu prise ?

Gustave Kervern : J'ai fait écouter Daniel Johnston a Benoît qui est tombé amoureux de ce mec (que j'avais découvert grâce à Rock'n'Folk !!). Pour C'est formidable de Charly Oleg, on cherchait un titre libre de droits (donc pas cher). On avait pensé d'abord à Ca plane pour moi de Plastic Bertrand mais y'a un procès autour de cette chanson qui dure depuis des lustres. Et puis on a pensé à Louise Attaque à cause de Louise Michel. Le chanteur compositeur Gaëtan Roussel habitait à côté de chez moi à Paris. Je l'avais croisé plusieurs fois sans lui parler. Mais j'aimais bien sa voix et son univers. Je l'ai contacté. Il a dit oui tout de suite et nous a proposé plein de trucs. On voulait un truc minimaliste. Il a composé en plus la chanson de fin que j'adore. Avec un enregistrement génial pendant deux jours ou il avait demandé a Richard Kolinka et à Joseph Dahan (ex Mano Negra) de l'aider. On s'est régalés. Merci à Gaëtan.

Benoît Delépine & les 3 questions du dj duclock (+1)

Je notule
: Que lis-tu en ce moment ?

Benoît Delépine : Je viens de finir deux bouquins en même temps. L'un s'appelle Quand le monde est devenu chrétien de Paul Veyne, une biographie de l'empereur Constantin, pour comprendre la conversion de l'Europe à une religion monothéiste alors que le paganisme était pas si mal que ça, et le second Que viva cinéma de Joel Séria , un roman que l'on aimerait voir interpréter direct par Jean-Pierre Marielle, l'histoire d'un exploitant de cinéma qui vend son femme au fantôme de Michel Simon pour devenir réalisateur. Bien sûr ça se finit très bien : Michel Simon lui fait caca dessus !

Je notule : Qu'ecoutes-tu en ce moment ? Qu'est-ce qui tourne sur la platine ?

Benoît Delépine : Sur ma platine rien. D'ailleurs je n'en ai pas. Je ne vais qu'aux concerts. Par contre dans mon lecteur de DVD tout chaud : un film norvégien extraordinaire Norway of life. Un jeune homme vivant transplanté dans un univers nordique étouffant, où les gens ne parlent que de design et d'ameublement. Il finit par se damner pour une vraie tarte aux pommes. Génial !

Je notule : Quelle est ta dernière surprise ?

Benoît Delépine : La dernière chose qui m'ait étonné ? La semaine dernière, à Rome, une statue de boxeur de trois mètres de haut retrouvée par des archéologues. Il est balaise, meurtri de blessures, et a un regard paniqué en arrière totalement inexplicable. J'aimerais savoir ce qu'il voyait de si terrible il y a 2000 ans.

Je notule : Comment se sont déroulés les choix pour la bande originale de Louise Michel ? Quelle part y as-tu prise ?

Benoît Delépine : Pour la bande originale du film, j'ai dégoté le vieux rocker de la fin (Steve Davey) dans un bar improbable près de Royan. Son Alcohol and nicotine est une création originale, de même que la plupart de ses tubes inconnus. Une star absolue, qui n'a même pas eu besoin d'être produit ou médiatisé pour l'être. Aussi un morceau de musique expérimentale d'un copain au moment de la sortie de l'eau de Yolande et Bouli, et deux morceaux que j'adore depuis leur sortie Jésus Christ mon amour de Philippe Katerine, vu au Confort Moderne à Poitiers, et Ouais ouais formidable, pour l'hommage à Choron. Voilà !

Louise Michel, sortie le 24 décembre 2008