La fille de Carnegie, de Stéphane Michaka

Quand j’ai entamé La Fille de Carnegie, j’ai tout de suite pensé au Versus d’Antoine Chainas. Impression qui s’est confirmée sur la longueur. Je pense que ça tient à deux choses : le personnage de Tourneur, lieutenant de la Brigade des Homicides New-Yorkaise — raciste, râleur et buté, alcoolique et incontrôlable — et l’ambiance noire présente ici comme dans Versus. Mais, ce qui m’a agacée dans le style et l'histoire de Chainas ne se retrouve pas dans le roman de Michaka. Déjà, pas de serial killer, un seul mort dans la loge du prestigieux Metropolitan Opera. Une enquête qui s’engouffre dans le passé d’une critique d’opéra, et au cœur de la relation entre deux flics : Tourneur et son ancien collègue Lagana, devenu suspect principal de l’enquête.

Intervient ensuite la mise en scène de l’auteur. Pas pour rien que ce roman est d’abord une pièce de théâtre et Michaka un auteur dramatique. La narration passe par plusieurs personnages : Tourneur en narrateur omniscient, Lagana en « je », un personnage secondaire qui donne des éléments du puzzle par son témoignage... un portrait d’ensemble se dresse petit à petit. La ville même a droit à elle seule à un superbe chapitre où les escarbilles volent au-dessus des habitants : "C’était l’heure où même les flics dans leur bureau clignent des yeux et ne les rouvrent pas tout de suite."

On est en décembre 2001, quelques mois après les attentats du World Trade Center. Tourneur en est à son troisième mariage, sa chanson préférée c’est The Jack d’ACDC, et il lui arrive de parler en intégrant des répliques de cinéma. Deux jeunes flics, deux blondinets, ont intégré sa brigade ; il les a surnommés "Kelloggs au miel". À l’opposé il y a Lagana, l’assurance et le charme, le goût du luxe. Et une femme entre eux deux. Le lecteur découvrira toute la vérité en une nuit.

La Fille de Carnegie est une réussite à signaler. Noir, plein de références inhérentes au genre, mais pas banal. Encore une bonne découverte de François Guérif. Il n’est pas si courant de voir arriver de nouveaux auteurs emballants dans le paysage du polar français. En voilà un qui situe son roman à New-York, avec en prime la possibilité de faire une suite avec son flic en héros récurrent, ou nous surprendre avec d’autres sujets. À suivre, assurément, pour peu que Stéphane Michaka nous fasse le plaisir de continuer à écrire. « Leur vanité, je la reluque et je m’en passe. Parce que je vois le monde, moi, du côté des morts. Et je suis payé pour ça. »

Joie bonheur, Stéphane Michaka a aimablement pris un peu de son temps pour répondre aux 3 indispensables questions qui nous permettront de le découvrir un peu plus. Merci à lui.

Stéphane Michaka et les 3 questions du dj duclock

Je notule : Que lisez-vous en ce moment ?

Stéphane Michaka : Un polar, évidemment : Garden of love, de Marcus Malte. Un beau roman qui a déjà été très remarqué, mais on ne remarquera jamais assez Marcus Malte. C'est un des grands auteurs de polar d'aujourd'hui avec Pascal Dessaint. Les maîtres de la "French touch".

Je notule : Qu'écoutez-vous en ce moment ?

Stéphane Michaka : Il y a toujours un Django Reinhardt qui traîne près de ma platine et finit par y repasser. Django est une cure de gaieté en 2 minutes 30. Après ça, on peut presque écouter Portishead sans se flinguer.

Je notule : Quelle est votre dernière surprise, la dernière fois que quelque chose vous a surpris ?

Stéphane Michaka : L'élection de Barack Obama m'a surpris, en bien, parce que ça fait huit ans qu'il n'y avait que des mauvaises surprises en provenance des Etats-Unis. On se dit que la terre se remettra peut-être à tourner rond en 2009... Ce serait une surprise de taille. Je n'y crois pas trop. Retournons lire Garden of love pour se consoler en broyant du polar.

Stéphane Michaka, La fille de Carnegie, Rivages/Noir, 2008, 10 euros 50, 565 p.