Sukran, Jean-Pierre Andrevon

« Je n’ai pas tourné ma langue sept fois dans ma bouche avant de dire oui. Et le pire, c’est que je n’ai même pas eu l’impression de baisser le pantalon. »
En de nombreuses autres occasions, Roland ne réussira pas à dire non. Faut reconnaître que se voir proposer un boulot peinard quand on ne mange pas à sa faim et qu’on tape la semelle (version revisitée de faire la manche) pour grapiller quelques pétros, ça peut faire flancher. Pourtant il a des principes, de la morale et un sens politique. Il ironise même plusieurs fois sur le sujet : « J’ai fait claquer ma langue. Voilà que j’étais retombé en plein dans la géopolitique. Cette bête là, on croit la semer mais elle ne vous lâche jamais. »

Roland accepte donc un poste de gardien pour une boîte qui commerce du matériel de haute technologie main dans la main avec la fédération panislamique. Des évènements dont il sera témoins vont l'obliger à prendre position ; il va tester les limites de ce qu’il peut tolérer.

Grâce à des propos plutôt lucides, Andrevon nous épargne la leçon de morale et le manichéisme. Il ne donne pas non plus dans le démonstratif ou l'introspection, rien que des faits et des actes. Court, droit au but. « J’ai encore vidé un chargeur ; ça sentait la poudre, une odeur facilement enivrante, même pour une âme pacifiste. »

Le plus souvent en littérature, la musique est l'art qui agrémente l’histoire. Dans Sukran, on croisera un personnage (pas piqué des gaufres !) nommé Potemkine. Andrevon, comme dans Le travail du furet, exsude le grand écran et les références cinématographiques.
« Mais je n’étais pas Edmond Dantès, ni Steve McQueen, ni Clint Eastwood. Surtout, je n’étais pas dans un film. C’est vrai que je dois souvent me le répéter. J’en ai été tellement nourri que j’ai parfois du mal à démêler. » Plus loin Roland se dira d’ailleurs que les types qu’il descend ressemblent tellement à des zombies de cinéma que sa peur en est atténuée. Fiction, réalité, anticipation...

Ce roman publié en 1989 résonne bien avec l’actualité (on croise même Monsanto). Certes, Marseille a les pieds dans l’eau et l’Occident a fini de mener sa croisade contre l’Islam. Beaucoup plus subtil que le dernier Jonquet, Sukran est un très bon thriller polar SF (mince, quelle étiquette lui coller ?), avec un final touchant, surtout par les temps qui courent. Voilà en tout cas qui me conforte dans l’envie de poursuivre la découverte Andrevon.

Mais surtout, n’oubliez pas la géopolitique !

Jean-Pierre Andrevon, Sukran, Folio SF 2008, 6,46 euros, 296p.