Renaud Marhic, L'Oreille de Denys, Rhubarbe, 2008




"Pour jouer les espions en herbe, écouter l'oiseau qui chante, l'écureil qui croque une noisette, le capteur est l'instrument idéal. Avec une parabole qui contient un micro intégré, des écouteurs, cet appareil amplifie les sons. Il apprend à reconnaitre tous les bruits d'une nature fourmillante de vie... mais aussi découvrir ce qui se cache sous le silence d'une nature endormie."
Copyright : Nature et Découvertes.

Renaud a un style, un de ces styles qui donne envie d'écrire, comme Phillipe Djian. Renaud a aussi une vision de ses contemporains et de la société ; c'est au travers de l'Oreille de Denys - entre autre ex-sexologue solitaire - qu'il nous cause du monde. Le notre avec ses lolitas de 10 ans d'âge, ses "adulescents" ou "kidults". Alors bien sûr on croise I Will Survive "en choeur brisé" aux "premiers néons" d'un bar PMU "qui joue NRJ"... Plus loin ce sont les chants d'Asie Centrale ou "les harpistes paraguayens" de chez Nature & Découvertes, le jingle de Chuppa Chups, le "Do, ré, mi, do Leclerc !", Eminem, Kool Shen, Le pays de Candy - où comme dans tous les pays, on s'amuse, on pleure on rit - Keren Ann... Un scoop sur la mort de C. Jérôme et le rôle de Florent Pagny dans cette ténébreuse affaire. En contrepoint, on croise aussi, par exemple, le Malpertuis de Jean Ray, faut dire que Renaud Marhic est un érudit.

À l'instar de Simenon, Renaud a dû passer pas mal de temps à observer la valse des gens depuis les endroits qu'il décrit. Et pour qui y a vécu se dessine dans la première partie du livre, en filigranne, un tableau de Brest ; mais que ce soit Brest ou ailleurs, à l'heure actuelle, une ville est une ville et partout on retrouve la Fnac, le Buffalo Grill, le bar PMU, les galeries commerciales et la Bibliothèque Municipale. Les mécanismes de la création du SAH (Syndrome d'Auto Harcèlement) ne sont pas sans rappeler le processus décrit dans Chères Toxines de Jean Paul Jody (Seuil, 2008), autre livre salvateur qui s'intéresse aux procédés de l'industrie pharmaceutique, aux médecins et au monde du travail.

Le fonctionnement de notre société en train de creuser des trous dans la culture, la laissant en friche aux marchands de vent, pousse forcément l'être humain vers le tragique. Renaud Marhic brandit un constat amer : des gosses paumés aux cervelles farcies de vent, en proie aux menteurs qu'ils soient médiatiques, christiques ou thérapeutiques, charlatans auto-convaincus de leur bienfaits... on retrouve là le combat de Renaud journaliste. L'Oreille de Denys se termine en cours magistral salvateur. Un hymne à l'esprit des Lumières. Une bouée de sauvetage - comme le sont toujours les bons livres - à laquelle il est bon de s'accrocher.

"...on s'en convainc de ses vanités... on s'enferre à ses faussetés... on est cocu de la comprenette... Soit !" (Renaud Marhic, L'Oreille de Denys, Rhubarbe 2008).


Renaud Marhic et les 3 questions du Dj Duclock

Renaud Marhic a répondu aux 3 Questions du Dj Duclock par l'intermédiaire d'Internet. Il eut été judicieux de monter à Brest et de poser ces trois questions de vive voix autour de quelques bières... la discussion se serait alors installée et l'interview aurait fait quelques pages de plus.

Dj Duclock : Que lis-tu en ce moment ?

Renaud Marhic : La réponse exacte serait – par force – multiple, correspondrait à ces moments de la journée, de la nuit, où, ne pouvant écrire, je lis. Selon ma manie de varier les plaisirs en fonction de lune et soleil, leur course, nous y serions encore au matin… C’est une chance : je vais pouvoir choisir. Ainsi, réfléchissant à la question, j’envisageai un instant de dire mon ennui à enfin me coltiner – de mon plein gré, il est plus tard que je ne le crois, n’est-ce pas – certains « classiques » du XXe siècle, en l’occurrence immédiate Au-dessous du volcan. (Sur le fond, fort bien, le consul est bourré… Pour la forme, voir la byzantine embrouille entre tenants de l’hermétique traduction originale et partisans de la version revisitée, certes plus sexy, ne visant pas moins à rhabiller un roi pour le moins dénudé.) « Que lis-tu en ce moment ? »… J’envisageai aussi ce quiz : quel tâcheron du roman rose avait pu me mettre sous les yeux ces croustillants morceaux de nunucherie littéraire : « Néanmoins, Julia n’avait guère d’efforts à faire pour se rappeler le beau jeune homme musclé avec lequel elle avait passé tant de nuits d’extase. » Je répète : « … beau jeune homme musclé… tant de nuits d’extase… » Ou encore : « Il y avait chez lui un détachement accompli qui disait clairement qu’il avait évacué leur liaison afin de faire place à d’autres choses plus pressantes professionnellement. » Il m’aurait alors fallu révéler – stupeur ! – que ledit tâcheron n’était autre que Théodore Roszak et son Enfant de cristal (Néo-Le cherche Midi, 2008), passé à l’ennemi de l’écriture « bouldum », commercialement avenante, partant calibrée, elle aussi, pour cerveaux à temps disponible, passé à l’ennemi, disais-je, avec armes et bagages – parmi lesquels La conspiration des ténèbres et Le Diable et Daniel Silverman ; la trahison d’autant plus insupportable. Non, je préfère déclarer avoir lu avec un vif intérêt le vrai roman vrai de Hélène Dassavray, Les ruines de la future maison (À plus d’un titre, collection À charge, 2008).

Dj Duclock : Qu’écoutes-tu comme musique ces derniers temps, l’album qui tourne sur la platine ?

Renaud Marhic : La question ne va pas sans risque. Interrogé de la sorte, on serait presque en droit de pousser la chansonnette pour mieux trousser le propos, non ? Je ne m’y essaierai pas sur la nouveauté – Manitoba ne répond plus, de Gérard Manset – que contient ma platine disque. (Au fait, j’achète mes disques et emmerde les cuistres du piratage ripoliné en « libre circulation des contenus » ; les cuistres, oui, osant squatter sémantiquement un tout autre problème… comme d’autres transformant l’argent facile en « libre circulation des capitaux »…) Bref, pour le même prix et sans supplément sur les consommations, voici un court medley de Jean-michel Caradec, poète décédé en 1981, et dont les ballades douces amères servies par une voix cristalline aux brusques inflexions courroucées ne restent jamais longtemps absentes de mon environnement musical. (Ce qui suit est un extrait de mon prochain roman.) « Alors il [sera] question de “Sept cavaliers / Qui portaient des colliers”… d’“Enfants nus / Aux couronnes de fleurs”… À la réplique, “Des poupées qui parlent / de fruits défendus”… “Un saltimbanque / qui se moque des banques”… sur l’“Île / Fille de l’infini / Narguant la mer / Narguant le ciel, l’étoile”… Car c’était là, “Où elle enfantera / à l’équinoxe qui viendra”… Mais voilà que “La branche a cru dompter ses feuilles / Elle en portera le deuil / Et l’emportera au tombeau”… Le “Jour soudain devient la nuit / Les oiseaux volent à l’envers”… » (Jean-Michel Caradec, Polydor, 1972-1975.)

Dj Duclock : Qu’est-ce qui t’a surpris dernièrement... Quand as tu été surpris pour la dernière fois ?

Renaud Marhic : Il m’aura fallu du temps pour comprendre que quelque chose avait basculé. Je viens – « compréhension lente mais sûre » – de le réaliser. Et c’est cela qui me surprend… Au détour d’une conversation avec un prof de français ânonnant le très peu de son savoir (pauvres gosses)… À la simple audition de cette phrase terrible : « … mais si !… promis !… c’est dans Wikipédia ! » (merci à qui résiste)… Au hasard de France Culture, toujours plus sinistrée, en voie de normalisation crétinisante (hommage aux dissidents)… À entendre ces derniers lecteurs qui, malgré toute leur bonne volonté, ne comprennent plus ce qu’écrivent les derniers écrivains… Oui, nous vivons un basculement : abêtissement textuel… formatage des esprits… mort du langage… à décrire le désastre, la place nous manquerait. (Quel serait, au plan de la pensée, l’antonyme exact de « Renaissance » ?) Certes, je sais ces générations qui, l’une après l’autres, perpétuent la crainte d’une imminente catastrophe universelle. De même, plus que d’autres, je connais les fantasmes apocalyptiques de ceux-là qui voudraient tant pouvoir témoigner de leur vivant de la fin d’un monde. Il n’empêche… l’air du temps est en train de souffler les Lumières. Ça ne vous étonne pas d’assister à ça, vous ?