Jean Teulé, Je, François Villon, Julliard, 2006

Je suis François, dont il me poise,
Né de Paris emprès Pontoise,
Et par la corde d'une toise,
Saura mon col que mon cul poise.


Quatrain de François Villon.

Comme pour Ô Verlaine (Julliard, 2004, réédité en Pocket), sa biographie qui raconte les derniers jours de Verlaine vus par un jeune homme monté voir l’idole des étudiants à Paris, Jean Teulé s’imprègne du style de son personnage. Dans Je, françois Villon (Julliard, 2006, réédité en Pocket) il reprend des passages entiers de François Villon qu’il traduit en français actuel ; il s'imprègne de son vocabulaire. Et petit à petit- en cours chapitres- se dessine un personnage attachant et curieux de tout, animé d’une rage de vivre peu commune, un poète plongé dans un époque rude, sadique et violente, mais aussi vivace et espiègle. La vie n'a pas la même importance que maintenant et la mort fait partie intégrante de la vie de tous les jours. Ainsi cette scène où l'on cuit dans un grand chaudron, sur la place publique, un charcutier qui mélangeait des cadavres humains à ses terrines :

Le charcutier qui mijote dans l'eau frémissante nous regarde en grimaçant. Visiblement, le feu sous la cuve commence à lui chauffer les jambes qu'il remue souvent pour les remonter vers sa poitrine. -As-tu pied ? -Mais non regarde comme il secoue les pattes. Il nage... Mais avec la vapeur, on ne voit pas s'il bande. Manche de pourpoint remontée jusqu'à l'épaule, nous plongeons tous les deux un bras dans l'eau pour vérifier. Dogis s'extasie :"Ah moi, dans une eau comme ça je banderais."

Jean Teulé nous fait entrer en plein coeur de son moyen âge par l'intermédiaire de tableaux, de scènes visuelles et puissantes et de personnages marqués. Une procession de moines qui marchent un par un suivant l'ordre ascétique, la corde aux reins, un cierge en main, ululuent d'une voix formidable un cantique, passent devant moi. Je les suis. Jusqu'aux toits follets d'Angers, leurs chants semblent venir du ciel. Jean Teulé évite en général l'écueil majeur de l'anachronisme moral ; il ne fait pas "trop" penser son personnage comme un Homme de maintenant.



Image tiré du Grand Testament de Maistre François Villon, Paris, 1489.

Villon se pose à l’encontre de l’idéal courtois. Il parle de lui et de son monde et de ses problèmes en les poussant peut être parfois à outrance à l'image de pas mal de rappeurs de maintenant. Arrivé à la cour du Duc d’Anjou au milieu des fausses fleurs, des fausses bergères et d’un faux monde rural que le Duc recréait dans son château pour célébrer les arts et une poésie de pacotille qui ne veut servir que "le beau", il se fait chier et va se présenter ainsi sous la plume de Jean Teulé :

-Presque tous mes vers roulent sur moi, sur ma vie, mes malheurs, mes vices. Je trouve mon inspiration dans les bas lieux, dans les amours de coin de rue !

-Pourquoi ne racontez-vous pas en un quatrain, par exemple, un peu de neige sur une branche ?
-Ce n’est pas le scintillement de la neige que je vois l’hiver, mais les engelures aux pieds !
-Décrivez la rivière du Maine, la forêt là-bas… insiste René.
-Je ne suis pas champêtre, pas paysagiste du tout ! Mon seul arbre est la potence. Je ne fais rien de la nature. Pour moi il n’est de paysage que la ville, le cimetière est ma campagne, mes couchers de soleil sont les rixes dans la rue ! Je sors de la poésie bel esprit.
-Vous êtes le mauvais garçon du siècle !

-Je ressemble sans doute à un balai de four à pain mais je fais la sale besogne d’enlever la suie sur les mots d’amour courtois et les pastorales ! Mes maîtresses ne sortent pas de l’imagination châtrée d’un évêque. Mes maîtresses sont la blanche savetière et la gent saulcissière du coin qui veulent bien, vite fait, derrière un tonneau. Alors que m’importe à moi de savoir si Gontier lutine Hélène !


Villon de par sa vie aventureuse, son appartenance à la Coquille (célèbre bande de brigands du milieu du XVème siècle dont il utilse parfois l'argot dans ses poésies), ses déboires avec la justice et la tenacité de sa Légende est porté en précurseur des poètes maudits par les poètes Romantiques. Ses poésies avec leurs thèmes et leurs phrases répétés en fin de couplet sonnent parfois comme un genre de blues…

Car ou soies porteur de bulles,
Pipeur ou hasardeur de dés,
Tailleur de faux coins et te brûles
Comme ceux qui sont échaudés,
Traîtres parjurs, de foi vidés ;
Soies larron, ravis ou pilles :
Où s'en va l'acquêt, que cuidez ?
Tout aux tavernes et aux filles.


Et ce Tout aux tavernes et aux filles va tourner en bas de chaque couplet de la Ballade de bonne doctrine a ceux de mauvaise vie que La Tordue va reprendre dans la chanson Les Grands Bras dans l’album Les choses de rien (Moby Dick / Média 7, 1995).

Les grands bras de La Tordue



Lire Je, François Villon de Jean Teulé donne immédiatement envie de se plonger dans l’œuvre de Villon et de s’immerger dans le moyen âge. Pour ce faire on pourra se procurer le coffret de 6 disques édité par Harmonia Mundi : Les très riches heures du Moyen Âge, un voyage musical des premièrs siècles de notre ère à l’aube de la Renaissance (Harmonia Mundi, 1995) plus de 7 heures de musique chantée et instrumentale; de nombreuses pistes du Chant Byzantin des premières heures du moyen-âge (interprété par Sœur Marie Keyrouz) au Requiem d’Ockeghem du début de la Renaissance en passant par la musique médiévale anglaise (interprétée par le Hilliard Ensemble), les carols et motets (chantés par l’Anonymous 4), les chants des toubadours ou encore René Clémencic et ses flûtes… Le tout accompagné d’un riche livret. Comme d’habitude le Label Harmonia Mundi propose du très bon boulot.

On trouve dans la très bonne collection Chansons & Poètes (aux jaquettes malheureusement horribles) un disque consacré à Villon chanté par Monique Morelli, Cathy Fernandez, James Ollivier, Chris Papin et Bernard Ascal dont on ne sera pas sans recauser quand j'aurais mis les oreilles dedans. Gerorges Brassens reprend La ballade des dames du temps Jadis sur son indispensable album Récital n°2 (Mercury France, 1957). Sur La marge (Universal, 2003) de Bernard Lavilliers (qui compile ses mises en musique de poètes) on croisera une version de La ballade des pendus. Léo Ferré a lui aussi rendu hommage à ce texte, renommé pour l’occasion Frères humains, l'amour n'a pas d'âge.

Frères Humains, l'amour n'a pas d'âge ou la Ballade des pendus de François Villon par Léo Ferré.






On se penchera aussi avec bonheur sur Claude Debussy et ses Ballades de François Villon pour voix et piano (ou orchestre). En 1997 le compositeur Arthur Oldham écrit Le Testament de Villon pour 3 solistes, chœur et orchestre. On le voit, il y a là de quoi accompagner sa lecture de Je, François Villon et les Œuvres complètes du poète mythique qui plus de 500 ans après son passage ici-bas continue de causer à ses frères humains.

Et voici La ballade des pendus de François Villon par Serge Reggiani.