Racisme et Jeu de rôle fantasy




Les jeux de rôle de fantasy comportent souvent différentes races imaginaires comme les Nains, les Elfes ou les Gobelins. La question du racisme est récurrente dans la communauté des joueuses et des joueurs. Dans le court texte qui suit nous entendons le terme racisme dans le sens "Discrimination, hostilité violente envers un groupe humain" et nous nous pencherons sur le racisme en tant qu'"Idéologie postulant une hiérarchie des races". Le terme "humain" de la première définition a toute son importance. Nous avons choisi trois jeux emblématiques du genre : Donjons & Dragons, L'Oeil Noir et L'Anneau Unique pour aborder la question.

Dans l'Anneau Unique et Donjons & Dragons, on trouve des races qui ne possèdent pas de "libre arbitre" ; elles sont essentiellement (par "essence") mauvaises ; elles n'ont pas le choix de leurs actions. Elles sont qualifiées de monstre. Dans L'Anneau Unique comme dans Donjons & Dragons les races "jouables" par les joueuses et les joueurs sont, en général, les races qui possèdent un "libre arbitre", une liberté de choix dans leurs actions. Elles peuvent passer de "bon" (la lumière) à "mauvais" (les ténèbres), de "chaotique" à "loyal" suivant leurs actions et se comporter moralement comme elles le souhaitent.

Dans Donjons & Dragons et l'univers des Royaumes Oubliés, la question du racisme est discutée avec la série de R.A. Salvatore et les aventures de Drizzt. Le personnage central de la série est un Drow, un elfe noir venant d'une civilisation souterraine, matriarcale et raciste, qui réduit toutes les autres races en esclavage. Dès le premier ouvrage, Drizzt lutte contre sa culture et son instinct guerrier en se posant les questions de race, de langage, de culture, de mal, de bien, d'inné et d'acquis.

Chez Tolkien l'ensemble des races imaginaires traduisent des comportements humains. Un Gobelin serait alors la représentation d'un être humain violent, destructeur et acculturé. Il incarnerait ce qui est mauvais chez l'être humain sans qu'on puisse le rattacher à une ethnie de la race humaine. Notons aussi que chez Tolkien certaines races (les Nains et les Gobelins) ne sont pas le fruit d'une création divine, mais d'imitateurs. Dans le jeu de rôle L'Anneau Unique tiré du monde de Tolkien, les joueurs jouent des personnages de différentes "Cultures Héroïques".

Dans L'Anneau Unique comme dans L'Oeil Noir, le mot race n'est pas utilisé, on parle de peuple (Humain, Elfe, Demi-Elfe, Nain) et de culture. Le scénario Pour un gobelin de plus ou de moins (L'Oeil Noir) pose la question du racisme et de la discrimination des gobelins. Dans le jeu, les gobelins semblent posséder un "libre arbitre". Il est cependant impossible de jouer des gobelins avec les règles du livre de base, cette possibilité sera sûrement donnée dans les suppléments à venir. Le racisme existe dans les mondes de Fantasy où les préjugés raciaux sont importants. La cinquième édition de Donjons & Dragons aborde le sujet avec des encadrés pour chacune des races jouables et la façon dont elles sont perçues par les autres. De même, pour chacune des Cultures de L'Anneau Unique il y a un petit texte qui dit ce que la Culture en question pense des autres Cultures avec qui elle a des contacts. L'Oeil Noir donne aussi des informations sur les préjugés des différentes "espèces" et "cultures" ; "préjugés" est d'ailleurs un désavantage de la catégorie "Faiblesse de caractère" mais il n'est pas fait mention de racisme (le mot n'est pas utilisé).

Le Jeu de Rôle de Fantasy met clairement en avant (par un système d'attribution d'avantage et/ou de désavantages chiffré ou non) des différences physiques et mentales entre les races humaines, naines, elfiques, gobelinoïdes, draconiques... mais chercher une analogie entre les races de monde de fantasy et les différentes ethnies qui composent l'humanité est assez absurde. Dans Donjons & Dragons (comme dans l'Oeil Noir) l’entièreté de la race humaine est comprise dans le type racial : "humain". Dans Donjons & Dragons comme dans L'Oeil Noir il n'y a pas de "Discrimination, hostilité violente envers un groupe humain". Par contre dans les mondes de fantasy, il y a (pas toujours) des aspects qui se rapprochent d'une "Idéologie postulant une hiérarchie des races". Il peut y avoir une essentialisation. Dans l'Oeil Noir elle se fait sur les caractéristiques de départ qui ne sont pas les même entre les Nains, les Elfes, les Demi-Elfes et les Humains. Idem dans Donjons & Dragons où, si au fur et à mesure des éditions les différences de caractéristiques chiffrées ont disparu, il reste des différences telles que la vision dans le noir, la vitesse de déplacement ou des sortilèges innés pour certaines races. L'essentialisation des traits de caractères, des avantages et des désavantages se fait parfois par le biais du choix de la race. Les traits de caractères généraux sont définis suivant que l'on soit Hobbit, Elfe, Humain ou Gobelin. Les avantages et désavantages de chacune des races jouables s'équilibrent dans la dernière édition de Donjons & Dragons, gommant une éventuelle hiérarchie raciale. Et cette différenciation se fait entre des races imaginaires et non à l'intérieur de l'humanité.

L'évolution du concept de race ou d'espèce est sans aucun doute le reflet de la pensée de l'époque. Dans les années 80 alors que le jeu de rôle arrivait en France, on pouvait faire des analogies rapides (comme elfe = race de surhomme) qui serait la projection de préjugés racistes, chacun trouvant dans les diverses races imaginaires une projection de sa conceptions "des autres". Des questions de plus en plus pressantes se posent sur le sujet et il va être intéressant d'y réfléchir et de tenter d'y apporter des réponses tout en se gardant bien de tomber dans les analogies absurdes. Quoi qu'il en soit, il me semble qu'il faut écouter les personnes qui ont souffert ou qui souffrent du racisme et en discuter. C'est ce que semble faire la société Wizards of the Coast, productrice de la 5ème version de Donjons & Dragons, dans l'article Diversity and Dungeons & Dragons.

Le sujet est ardu car en créant des êtres doués de raison et d'un libre arbitre qui ne sont pas des humains, on crée des différences "essentielles" (dans le sens innées) et à trop vite y regarder cela pourrait accréditer les thèses racistes. C'est un leurre ; les Elfes, comme les Nains ou les Gobelins ne sont pas des êtres humains, ce sont des êtres imaginaires, mais comme tous les être imaginaires ils peuvent endosser - contre leur gré - des analogies et des comparaisons scabreuses.



Emeric Cloche.