Le seigneur des anneaux, notes sur le livre 3 (Tome 2)

Orthanc Alan Lee


Loin, loin sous les profondes excavations des Nains, le monde est rongé par des choses sans nom. Sauron lui-même ne les connaît pas. Elles sont plus anciennes que lui.


Tout ce qui est chthonien, indicible et immémorial n'appartient pas seulement à l'oeuvre d'Howard Philip Lovecraft, mais l'histoire a besoin de noms autour desquels amarrer un imaginaire. Lovecraft cela sonne bien et c'est encore à son univers que l'on pourra penser en écoutant Gandalf parler du Balrog.


L'Industrie


Une grande muraille de pierres en forme d'anneau, comme un cercle de hautes falaises, se détachait du flanc de la montagne sous lequel elle s'abritait. Une seule entrée y était pratiquée sous la forme d'une grande arche qui s'ouvrait dans la partie sud de la muraille. Là, à travers la pierre noire, un long tunnel avait été creusé, fermé à chaque extrémité par d'imposantes portes de fer. Elles étaient ainsi faites, et ainsi posées sur leur grandes charnières, des jambages d'acier rivés à même la pierre, qu'elles pouvaient, lorsque débarrées, s'ouvrir d'une légère poussée des bras, sans le moindre bruit. Ceux qui y entraient, et traversaient le long tunnel rempli d'échos, se trouvaient alors devant une plaine, un grand cercle légèrement évidé comme un grand bol profond, mesurant un mille d'un bord à l'autre. Elle avait été verte autrefois, sillonnée d'avenues, et parsemée d'arbres plantureux, arrosés pas des ruisseaux de montagne affluant vers un lac. Mais aucune verdure n'y poussait durant les derniers jours de Saruman. Les chemins étaient couverts de dalles de pierre, dures et sombres ; et ils n'étaient plus bordés d'arbres, mais de longues rangées de colonnes, de marbre parfois, mais aussi de cuivre et de fer, reliées par de lourdes chaînes.
Il y avait de nombreuses maisons, salles, galeries et passages, creusés et sculptés dans la paroi intérieure de la muraille, si bien que toute la plaine était dominée par d'innombrables fenêtres et portes sombres. Des milliers de serviteurs pouvaient y habiter : ouvriers, esclaves et guerriers pourvus d'amples provisions d'armes ; des loups étaient nourris et logés dans des antres loin au-dessous. La plaine avait été excavée et forée. Des puits s'enfonçaient profondément dans le sol ; leurs orifices étaient surmontés de petits monticules et de dôme de pierre, de sorte que l'anneau d'Isengard, dans le clair de lune, ressemblait à un cimetière sans repos ni quiétude. Car la terre tremblait. Les puits descendaient en un réseau de tunnels et d'escaliers en colimaçon vers de profondes cavernes ; Saruman avait là des trésoreries, des entrepôts, des armureries, des forges et d'immenses fourneaux. Là, des rouages de fer tournaient en permanence, et des marteaux résonnaient. La nuit, des jets de vapeurs s'échappaient des conduits, éclairés par en dessous de lueurs rouges, bleues, ou encore d'un vert vénéneux. Entre les chaînes, tous les chemins confluaient vers le centre. Là, s'élevait une tour de forme fabuleuse.

Nous voilà, avec cette description d'Isengard, conforté dans l'impression que l'Ennemi (ici Saruman) industrialise les Terres du Milieu et brise l'harmonie des lieux. Comment ne pas penser à un mélange d'usines, de tours d'immeubles et de bunker en lisant ces quelques phrases ?


Le Bien & le Mal

Le Bien et le Mal sont partout, en chacun des personnages du Seigneur des Anneaux...
"Dangereux ! s'écria Gandalf. Je le suis aussi, très dangereux : plus que tout ce que vous verrez jamais, à moins d'être emmené vivant devant le trône du Seigneur Sombre. Et Aragorn est dangereux, et Legolas l'est tout autant. Vous êtes entouré de danger Gimli fils de Gloin ; car vous êtes dangereux vous même, à votre manière. Assurément la forêt de Fangorn est un endroit périlleux - à plus forte raison, quand on est trop prompt à jouer de la hache ; et Fangorn ; pour être périlleux aussi, n'en est pas moins sage et bon. Mais à présent, sa longue et lente colère commence à déborder, et toute la forêt en est remplie."

... mais certains personnages ont complètement basculé du côté du mal, rongés par la corruption et la soif de pouvoir. La corruption, l'Ombre est un danger constant qui guette les héros. À ce point de lecture on sent bien que les méchants de l'histoire (Sauron y compris) ont basculé à un moment ou un autre (à l'instar de Saruman ou Grima dit "Langue de vipère") et que Gandalf pourrait très bien, lui aussi, être corrompu. Le mal n'est pas dans les individus mais dans leur raisonnement et leurs actions comme le montre le comportement de Boromir ou encore l'aveuglement de Théoden le Roi de la salle Dorée. Reste les monstres, après une première rencontre avec les Orques (la capture de Pippin et Merry) on se dit qu'ils sont intrinsèquement cruels et quelque peu stupides de naissance, voire d'instinct... Ils semblent vivre et reproduire un environnement violent où tout se règle par la force physique, la violence et la domination.


Cohabitations

"Le temps presse ; ainsi nous chevaucherons, mes amis, avec votre permission. Nous vous prions d'aller avec toute la hâte dont vous êtes capable"
La façon dont Gandalf dialogue avec le cheval Scadufax ou avec Gwaihir l'aigle des Montagnes de Brume démontre une cohabitation avec les animaux ; a fortiori la personnification des arbres avec les Ents et le dialogue qui s'instaure entre Pippin, Merry et Barbebois renforce cette idée de cohabitation possible. Il semble cependant que ce dialogue entre la nature, les animaux et les différentes races des Terre du Milieu se perd au fur et à mesure des âges (voir aussi à ce sujet le personnage de Tom Bombadil). De plus la nature (animaux, plantes, montagnes...) semble elle aussi sujette à la corruption comme le démontre ce qui se passe dans la forêt de Grand'Peur ou lors de la tentative de passage du Col de Caradhras par la Compagnie.

Lorsque cette cohabitation n'a plus lieu le résultat peut être terrible, ainsi l'anneau d'Isengard qui entoure Orthanc est détruit par les eaux de l'Isen détournée par les Ents, cette destruction ressemble fort à un raz de marée ou plus précisément à une crue dévastatrice (Cf. ouverture du chapitre 10 "La voix de Saruman"). De plus les Ents et les Huorns règlent quelques comptes avec les Orcs qui les ont abattus en grand nombre pour alimenter leurs industries (ou tout au moins les industries de Saruman).


NB : Ces notes suivent la lecture des six livres du Seigneur des Anneaux publié en 1954 et 1955 en trois tomes. Il n' y a rien de définitif dans tout ce qui est dit là, il s'agit d'impressions et de pistes de réflexions à creuser et à mettre en rapport avec l'ensemble de l'oeuvre de Tolkien.