Nicolas Jaillet se souvient de cet air


Les chanceuses et les chanceux, enfin celles et ceux qui suivent les restaurants littéraires organisés par Fondu Au Noir, ont pu dîner, un soir de Juin, avec l'écrivain Nicolas Jaillet. On y a évoqué entre autre ses romans Sansalina et La maison. Le revoilà parmi nous en ce début d'année où il nous livre un souvenir musical...

En visitant l'expo "Euro-Punk" à la très officielle et très jolie et très polie Cité de la Musique du Parc de la Villette à Paris, j'ai appris entre autres choses que le mois de ma naissance est le mois où sont apparues les cassettes audio. Ma grande soeur, de quatre ans mon ainée, enregistrait de la disco sur de telles cassettes : chansons de Plastic Bertrand, Dave, Earth Wind and Fire, tronqués par des pubs, interrompus avant la fin par des DJs soucieux de préserver au 45 tours le charme de l'intégralité, afin de ne se point fâcher avec les maisons de disques.

Mon grand frère, de treize ans mon ainé, ne faisait pas de cassettes audio. Il n'écoutait que des 33 tours. Je me souviens de la pointe de sa tiag droite battant approximativement la mesure de morceaux aux basses lourdes et obsessionnelles à peine contrariées par des sons qui émanaient peut-être d'une batterie, peut-être d'une boîte à rythme, avant qu'une voix haut-perchée et plaintive n'entame un chant lancinant où l'alternance refrain-couplet était parfois à peine perceptible, à force de dépression nerveuse.

Je me souviens que la couverture de l'un de ces albums représentait un frigo entrebâillé. J'ignorais encore que la voix lancinante et plaintive était celle de Robert Smith, et qu'il cherchait essentiellement à nous raconter qu'après l'après de l'après-tout que se revendiquait être le Punk, il n'y avait décidément plus rien, rien, rien de rien à espérer.

Quelques années plus tard, j'ai retrouvé ces disques, j'en ai identifié les auteurs, et j'ai pu les écouter avec une conscience un peu plus ouverte au désespoir, au néant et à la critique systématique. Vous aurez compris que j'avais environ quatorze ans. C'était l'époque des Radio dites "libres" et si je mets des guillemets, c'est parce que c'était aussi l'époque de NRJ. Je me souviens que j'essayais de convertir mes amis au charme nocif de Robert Smith et de ses joyeux drilles. Sans succès. Jusqu'à ce qu'un jour, un de mes meilleurs potes vienne me voir en me disant : "J'ai entendu un truc génial à la radio, ça s'appelle 'The head on the door'. C'est un tube. Ca vient de sortir." J'ai failli le tuer.