Tony Truand se souvient de cet air

Tony Truand était à Millau en l'an 2000, on retrouvera dans sa littérature un verbe et une verve qui se font malheureusement bien rare en ce début de siècle.

HOMMAGE A FRANCIS CABREL

Aussi loin que je cherche, je ne me souviens pas d'avoir vécu une expérience musicale plus poignante que lors du concert qui eut lieu à Millau à l'occasion de la sortie de prison de José Bové. L'estrade en bois avait été élevée au milieu d'un désert vallonné, sauvagement, et la terre froncée à l'entour semblait se plier au jeu d'étranges vibrations. Bertrand Cantat entama les réjouissances avec un enthousiasme d'autant plus effréné qu'il ignorait absolument que peu de temps après il se retrouverait en taule à Vilnius et Bové à Villeneuve les Maguelones (pffrt!). Sa musique généreuse déferlait sur la plaine, nous roulions dans une houle survoltée, les vallons répercutaient les sons comme des baffles à l'horizon. Le concert s'enfonçait dans la nuit, et nous finîmes tard, harassés, trempés, naufragés, stupides. Le second intervenant se présenta ensuite sur la scène, salua, puis entama son répertoire. Francis Cabrel. "Je l'aime à mourir je l'aime à mourir la la la...". Pas le même genre. C'est alors qu'une forme apparut dans le ciel béant. Un poulpe phosphorescent emplit l'espace de sa présence démesurée, abomination cosmique, horreur vertigineuse! Le monstre énorme ondoyait de spasmes, roulait des flammes dans ses orbites abyssales, étalait souplement en travers du ciel son envergure immense. Elançant ses tentacules dans l'infini, il accrochait les étoiles et les jetait à bas. Je ne saurais dire si les événements que je vais relater maintenant sont réels ou bien s'ils sont le souvenir ou plutôt l'empreinte d'hallucinations conçues dans la fièvre suscitée par la frayeur délirante qui me submergea, j'aimerais vous y voir! Quoi qu'il en soit et quel que soit le plan de réalité où s'inscrit ce qui va suivre, je me souviens que l'immonde bête tourna vers la terre sa face odieuse, puis ouvrit un large bec, qui couvrait de son empan trois ou quatre constellations, révélant une bouche effroyable d'où sortit une parole qui ébranla l'univers:

TA....GUEULE...CABRRREL...

Je crois savoir que depuis ce jour Francis s'est mis au poker, déployant une habileté telle que des joueurs de métier confondus par son aisance ont pu dire qu'il s'était découvert une vocation, m'a-t-on dit. Que Zeus me foudroie si j'ai dévoyé un seul mot de mon récit de la pure vé


Tony Truand
Milleau, Juin 2000

Noir Désir, Tostaky