Il semblerait que la mode soit à la recherche de l'authentique en littérature et au cinéma. Les estampilations "tiré d'une histoire vraie", "témoignage d'un ancien voyou", "témoignage d'un ancien flic", "fait avec des vrais gens" etc... sont de rigueur. Tout cela tente de faire oublier que la littérature et le cinéma sont des ARTS et que "ceci n'est pas une pipe".
Le "vrai" ou "l'authentique" dans l'art n'est pas forcément dans le "documentaire". Ainsi, "La Route" de Cormac McCarthy - roman de science fiction post apocalyptique - est vrai dans toutes ses scènes et apporte une importante réflexion sur la fragilité et l'humanité si on veut dégager ces deux thèmes parmi les autres. Il est authentique (sincère et vrai), bien plus que par exemple "Go Fast" "tiré d'une histoire vraie" avec "de vrais bouts de policier dedans" dont les deux mentions cachent une légère absence de travail sur le scénario et la platitude des personnages (même si les truands sonnent bien)... et occulte par là-même que le cinéma - et en l'occurrence ici raconter une histoire polardeuse - est un ART.
Les frontières entre la fiction et le réel sont de plus en plus floues, pas sûr que cela mène à l'authentique et à la véracité, il s'agit là d'un leurre qui me parait plutôt malsain et qui vise à faire croire que les images de la guerre vues à la télé pendant le journal sont la guerre, que la reconstitution de la prise d'otage d'une maternelle est "la prise d'otage", que le livre-témoignage-enquête sur la mafia est la mafia. Il me paraît urgent dans ces cas-là de défocaliser et de se souvenir de Magritte.
Sur le sujet on pourra lire Une note sur le réalisme de Robert Louis Stevenson dans Essai sur l'art de la fiction (Petite bibliothèque Payot). Quelques pages intéressantes dont voici un petit extrait :
"L'exactitude photographique du dialogue est devenue aujourd'hui la règle exclusive : pourtant même entre les mains les plus expertes elle ne nous en dit pas plus - et je crois même qu'elle nous en dit moins - que Molière ne nous en dit, et pour l'éternité sur Alceste ou Orgon, Dorine ou Chrysale, avec sa langue toute d'"artifices". Le roman historique est passé aux oubliettes. Cependant la vérité sur la nature, et sur la condition des hommes, la vérité de la littérature ne dépendent pas de l'époque. Elle peut nous être racontée dans une comédie de boulevard, un roman d'aventure ou un conte de fées. La scène peut se passer à Londres, sur les côtes de Bohême ou au plus profond des montagnes de Beulah. Et par un curieux mais combien éclairant hasard s'il est une pièce de littérature qui semble avoir été écrite tout exprès pour provoquer l'envie de M. Zola, c'est bien cette Troïlus et Cressida que Shakespeare, dans un spasme de fureur contre le monde, a greffé sur l'histoire héroïque de la guerre de Troie."
Sur le net, j'ai croisé là une chronique de monsieur Clément Bulle et dans cette chronique une citation qui va avec "Ceci n'est pas une pipe" :
"Victor Hugo, par exemple, dans son chef d’oeuvre Le Dernier Jour d’un condamné […] s’accomode d’une invraisemblance […], en supposant qu’un condamné a la possibilité et le temps d’écrire ses mémoires, non seulement pendant son dernier jour, mais même pendant sa derniere heure, et littéralement pendant sa dernière minute. Seulement s’il ne s’était pas permis cette fantaisie, son oeuvre elle-même, la plus réaliste et la plus vraisemblable, n’aurait pas pu voir le jour."
Mikhaïl Bakhtine, La poétique de Dostoievski.
Et puisque nous sommes dans les citations en voici une autre tirée semble-t-il d' "Anatomy of Criticism" de Northrop Fry et citée dans "Introduction à la littérature fantastique" de Tzvetan Todorov : "Un peintre original sait, bien entendu, que lorsque le public lui demande une fidélité à la réalité (to an object), il veut, en règle générale, exactement le contraire : une fidélité aux conventions picturales qui lui sont familières."
Bob Dylan, TV Talkin' Song
Bob Dylan, TV Talkin' Song