Le milieu de polar, avec ses débats et ses rengaines, se plaint parfois du manque de renouveau et de prise de risque des auteurs. Il me semble qu’on tient, avec Thierry Marignac, quelqu’un qui se démarque, par son écriture et la façon de traiter ses histoires. Dans son dernier roman il nous balade pas mal, géographiquement et structurellement.
Le personnage principal, Dessaignes, oeuvre comme traducteur pour la Croix Rouge. On commence en Russie, mais Dessaignes en est vite éjecté et perd son poste. Récupéré par un avocat bossant pour Nature CEI, ONG un peu trouble, il s'installe, et nous avec, dans la Ville Noire, Greenville (New Jersey), pas loin de New York et ses loyers trop chers. Pouvoir, politique et mafia, UNESCO, trafic de pétrole et procès, tableau d’un quartier américain, salle de boxe... l'auteur nous fait pénétrer de manière très minutieuse et vivante chacun de ces univers.
Le lecteur, avec ses quelques schémas prédéfinis, attend qu’une des situations mise en place se précise, aboutisse. Il pense voir Dessaignes déjouer une machination, agir en justicier héroïque dans un super procès ; il attend le drame souvent propre aux romans ayant pour cadre une banlieue Noire, et puis rien de tout ça ne se passe. Pas de chute sensationnelle. Les pistes données restent des pistes. C’est déroutant et très bon. Parce qu’il n’y a pas que des certitudes, mais bien plus souvent un ordinaire pas très reluisant. Dessaignes essaie de faire quelque chose de sa vie. Son portrait touche juste. L’écriture de Marignac elle aussi a une construction particulière, dense, pleine de virgules, tirets, avec moults sujets dans une phrase. Un ensemble singulier, convaincant. Avec des ambiances qui vous suivent une fois le livre refermé, pour moi cette salle de boxe salutaire, lieu d’authenticité.
Thierry Marignac, Renegade Boxing Club, Gallimard/Série Noire, 2009, 15 euros, 214 p.Le personnage principal, Dessaignes, oeuvre comme traducteur pour la Croix Rouge. On commence en Russie, mais Dessaignes en est vite éjecté et perd son poste. Récupéré par un avocat bossant pour Nature CEI, ONG un peu trouble, il s'installe, et nous avec, dans la Ville Noire, Greenville (New Jersey), pas loin de New York et ses loyers trop chers. Pouvoir, politique et mafia, UNESCO, trafic de pétrole et procès, tableau d’un quartier américain, salle de boxe... l'auteur nous fait pénétrer de manière très minutieuse et vivante chacun de ces univers.
Le lecteur, avec ses quelques schémas prédéfinis, attend qu’une des situations mise en place se précise, aboutisse. Il pense voir Dessaignes déjouer une machination, agir en justicier héroïque dans un super procès ; il attend le drame souvent propre aux romans ayant pour cadre une banlieue Noire, et puis rien de tout ça ne se passe. Pas de chute sensationnelle. Les pistes données restent des pistes. C’est déroutant et très bon. Parce qu’il n’y a pas que des certitudes, mais bien plus souvent un ordinaire pas très reluisant. Dessaignes essaie de faire quelque chose de sa vie. Son portrait touche juste. L’écriture de Marignac elle aussi a une construction particulière, dense, pleine de virgules, tirets, avec moults sujets dans une phrase. Un ensemble singulier, convaincant. Avec des ambiances qui vous suivent une fois le livre refermé, pour moi cette salle de boxe salutaire, lieu d’authenticité.
Le roman a son site et l'auteur-traducteur aussi.
Discuter avec Thierry Marignac, ça donne envie de prolonger l'échange ; ce qui se fera un jour j'espère. Il en a des choses à dire, c'est sûr. Je le remercie encore de cette rencontre virtuelle.
Thierry Marignac et les 3 questions du dj duclock que l'on fait joyeusement déborder
Je notule : Que lisez-vous en ce moment ?
Thierry Marignac : En ce moment, je lis Maison Jaune de Dominique de Roux et В плену у мертвенцов (Prisonnier chez les morts) de mon ami de longue date Limonov, son premier livre de prison non traduit en français.
Je notule : Qu'écoutez-vous en ce moment ?
Thierry Marignac : J'écoute Cubist Blues d'Alan Vega, An Ass Pocket of Whiskey de R.L. Burnside, et Вечно Молодой (Éternellement jeune) sur la bande-son du film Брат II (Frère, II).
Je notule : Quelle est votre dernière surprise, la dernière fois que quelque chose vous a surpris ?
Thierry Marignac : Ce qui m'a surpris dernièrement, c'est l'abrutissement ordinaire. La connerie enracinée, qui se manifeste lors des opérations de propagande. Pignouf premier et sa pouffiasse pour la France, Obama pour la planète. Bien qu'elle soit la règle, la servitude me surprend, sous toutes ses formes.
Je notule : Comment envisagez-vous l'écriture ?
Thierry Marignac : Envisager l'écriture ?… Qu'est-ce que ça veut dire ?… J'écris, c'est tout. Parce que j'aime ça. Je vais chercher une histoire, et j'essaie de trouver une façon originale de la raconter, c'est tout. Le «style», c'est pour les trous du cul qui se prennent au sérieux. Ceux qui rêvent de l'académie. Je ne cherche qu'à écrire de bons bouquins.
Je notule : Quand je parle de style j'entends par là le fait de réfléchir à ce que l'on veut dire, et comment l'exprimer le mieux possible. En tant que traducteur, j'imagine que vous avez conscience des nuances possibles selon que vous choisissez un mot plutôt qu'un autre, par exemple. On le voit d'ailleurs clairement à travers Dessaignes dans votre roman. Je n'envisage pas le style comme un truc ampoulé et pinailleur qui mènerait à l'Académie Française. Ou alors vous faites partie des auteurs qui se lèvent le matin et n'ont qu'à laisser le crayon courir sur le papier, touchés par la grâce ?
Thierry Marignac : En ce moment, je lis Maison Jaune de Dominique de Roux et В плену у мертвенцов (Prisonnier chez les morts) de mon ami de longue date Limonov, son premier livre de prison non traduit en français.
Je notule : Qu'écoutez-vous en ce moment ?
Thierry Marignac : J'écoute Cubist Blues d'Alan Vega, An Ass Pocket of Whiskey de R.L. Burnside, et Вечно Молодой (Éternellement jeune) sur la bande-son du film Брат II (Frère, II).
Je notule : Quelle est votre dernière surprise, la dernière fois que quelque chose vous a surpris ?
Thierry Marignac : Ce qui m'a surpris dernièrement, c'est l'abrutissement ordinaire. La connerie enracinée, qui se manifeste lors des opérations de propagande. Pignouf premier et sa pouffiasse pour la France, Obama pour la planète. Bien qu'elle soit la règle, la servitude me surprend, sous toutes ses formes.
Je notule : Comment envisagez-vous l'écriture ?
Thierry Marignac : Envisager l'écriture ?… Qu'est-ce que ça veut dire ?… J'écris, c'est tout. Parce que j'aime ça. Je vais chercher une histoire, et j'essaie de trouver une façon originale de la raconter, c'est tout. Le «style», c'est pour les trous du cul qui se prennent au sérieux. Ceux qui rêvent de l'académie. Je ne cherche qu'à écrire de bons bouquins.
Je notule : Quand je parle de style j'entends par là le fait de réfléchir à ce que l'on veut dire, et comment l'exprimer le mieux possible. En tant que traducteur, j'imagine que vous avez conscience des nuances possibles selon que vous choisissez un mot plutôt qu'un autre, par exemple. On le voit d'ailleurs clairement à travers Dessaignes dans votre roman. Je n'envisage pas le style comme un truc ampoulé et pinailleur qui mènerait à l'Académie Française. Ou alors vous faites partie des auteurs qui se lèvent le matin et n'ont qu'à laisser le crayon courir sur le papier, touchés par la grâce ?
Thierry Marignac : Écoutez, j'ai horreur de cette tarte à la crème du "style" qui sert aux auteurs à nous faire chier avec leurs états d'âme de petit-bourgeois sous Prozac. Je fais un plan, je suis mon plan, et une histoire m'apporte spontanément son style propre, sinon elle ne vaut rien. La grâce, c'est pour les débutants et les branleurs, académiciens de droite, et pleureuses de gauche. C'est mon huitième et j'ai toujours eu une conception industrielle, depuis Fasciste puisque Fasciste c'était d'emblée un style, et que je suis dadaïste, je m'en contrefous, de la littérature.Quand j'ai une panne je retourne au plan et j'ai ainsi des romans qui ne sont qu'un plan retravaillé à l'infini.
Évidemment que j'ai une patte, sinon je ferais de la microplomberie ou de l'élevage bovin.
Erskine Caldwell, auteur célèbre dans les années 30, (La route au tabac, Le petit arpent du bon Dieu) disait : "Il ne faut pas attendre l'inspiration, parce qu'il se peut qu'elle ne vienne pas".
Dans ma conception, le style naît de l'histoire, j'ai raconté Fasciste sur une langue corsetée, et "9'79", une nouvelle sur le sprinter drogué Ben Johnson sur un déluge d'obscénités. À chaque fois, le style correspond à l'histoire, et effectivement on choisit un mot plutôt qu'un autre.
Sur une des dernières phrases de À quai, j'ai choisi d'écrire:
"Les cris changent d'intensité mais ne s'arrêtent jamais", plutôt que "Les cris varient d'intensité mais ne s'éteignent jamais" parce que je voulais une sonorité plus sourde, plus neutre, plus quotidienne. Si je savais pas ça, ce serait pas la peine d'écrire.
Les gonfleurs nous parlent de "style" parce qu'ils n'en ont pas, et ça cache très mal leur indigence narrative.
Excusez, Caroline, la relative sécheresse de mes réponses, mais "style", comme "roman noir" fait partie des clichés trop commodes et archi-usés, qui permettent aux crétins sans rien à dire de prospérer à nos dépens, nous autres, véritables romanciers, et nous ne sommes pas si nombreux. Moi, je fais mon truc à la Kessel ou Cendrars, je cherche une sous-culture, je l'apprends, j'invente un scénario vraisemblable, et une forme de récit originale et adéquate. Il est clair que j'essaie de travailler dans le sens de la contraction et du percutant, c'est le roman policier (expression que, contrairement à nombre des confrères aussi planqués que grandiloquents, j'aime pour sa modestie, à mon sens capitale) qui veut ça. Aucun mysticisme à avoir, contrairement à ce qu'on cherche à vous faire croire, le jansénisme des petites vedettes.
Écrire, c'est d'abord un goût, et ensuite énormément de travail. Les confrères grandes têtes molles qui se gobergent du "style", c'est parce qu'ils foutent rien et essaient d'esbrouffer le lecteur avec leur vide.
Évidemment que j'ai une patte, sinon je ferais de la microplomberie ou de l'élevage bovin.
Erskine Caldwell, auteur célèbre dans les années 30, (La route au tabac, Le petit arpent du bon Dieu) disait : "Il ne faut pas attendre l'inspiration, parce qu'il se peut qu'elle ne vienne pas".
Dans ma conception, le style naît de l'histoire, j'ai raconté Fasciste sur une langue corsetée, et "9'79", une nouvelle sur le sprinter drogué Ben Johnson sur un déluge d'obscénités. À chaque fois, le style correspond à l'histoire, et effectivement on choisit un mot plutôt qu'un autre.
Sur une des dernières phrases de À quai, j'ai choisi d'écrire:
"Les cris changent d'intensité mais ne s'arrêtent jamais", plutôt que "Les cris varient d'intensité mais ne s'éteignent jamais" parce que je voulais une sonorité plus sourde, plus neutre, plus quotidienne. Si je savais pas ça, ce serait pas la peine d'écrire.
Les gonfleurs nous parlent de "style" parce qu'ils n'en ont pas, et ça cache très mal leur indigence narrative.
Excusez, Caroline, la relative sécheresse de mes réponses, mais "style", comme "roman noir" fait partie des clichés trop commodes et archi-usés, qui permettent aux crétins sans rien à dire de prospérer à nos dépens, nous autres, véritables romanciers, et nous ne sommes pas si nombreux. Moi, je fais mon truc à la Kessel ou Cendrars, je cherche une sous-culture, je l'apprends, j'invente un scénario vraisemblable, et une forme de récit originale et adéquate. Il est clair que j'essaie de travailler dans le sens de la contraction et du percutant, c'est le roman policier (expression que, contrairement à nombre des confrères aussi planqués que grandiloquents, j'aime pour sa modestie, à mon sens capitale) qui veut ça. Aucun mysticisme à avoir, contrairement à ce qu'on cherche à vous faire croire, le jansénisme des petites vedettes.
Écrire, c'est d'abord un goût, et ensuite énormément de travail. Les confrères grandes têtes molles qui se gobergent du "style", c'est parce qu'ils foutent rien et essaient d'esbrouffer le lecteur avec leur vide.