Callisto de Torsten Krol


Odell, un "nom de nègre" comme il dit, n’a pas inventé le fil à couper le beurre. Un gars costaud, catégorie naïf et benêt. Parti pour s’engager dans l’armée histoire de défendre son pays contre les "enturbannés" en Irak, il tombe en panne de voiture à Callisto, petite ville du Kansas. Ce genre d’évènement banal, qui se déroulerait simplement dans votre vie comme dans la mienne, prend des allures catastrophiques chez Odell. Faut dire, il manque quand même un peu de bol. Même le système de pensée et d’actions qu’il met en place pour se sortir de la mouise est une invitation à la poisse. Le lecteur forcément, il se gondole et n’en croit pas ses yeux. Faut dire, y’a comme un air de farce avec en vrac : un cadavre dans un congélo, un type tué et enterré/déterré 6 fois, du trafic de drogue, une bombe qui explose, une séance hilarante de détecteur de mensonges...

"Tout ça commençait à ressembler à une de ces fâcheuses conséquences qui accompagnaient ma vie depuis toujours, pour cause de mauvais planning et de décisions malheureuses que je n’aurais sans doute pas dû prendre, sauf que c’est bien difficile quand on décide quelque chose de savoir si on a bien fait tant que les conséquences n’en ont pas découlé."

Odell l’inadapté à la société rêverait de mener sa vie paisiblement, femme, chien et enfants à ses côtés à décapsuler une bière le soir sur la terrasse de sa maison face au jardin. Comme la vie qu'on voit sur cette télé qu’il consomme par grandes sessions, critiquant son aspect faussé mais tenant pour argent comptant les méthodes des Experts, ces as de la police scientifique.

« L’un dans l’autre, je me serais senti très bien s’il n’y avait pas eu toute cette histoire de Dean qui me bouchait la Valve du Bonheur, cette chose que chacun a en soi et qui se soulève de temps à autre sans raison particulière pour laisser échapper une vapeur de Joyeux Sentiments. »

L’histoire de la poisse d’Odell c’est un type qui traverse la société américaine telle que nous la connaissons aujourd’hui, avec ses évangélistes, ses hommes politiques stratèges, sa constante angoisse du terrorisme et son délire sécuritaire. Le point de vue du naïf Odell permet de mettre en relief de manière assez implacable l’absurdité d’une société et de certains comportements humains. Le lecteur testera ses réactions face à un tel personnage : moquerie, pitié, agacement, compassion, empathie... la progression de ses sentiments le renseignera également sur lui-même. Bien sûr, Torsten Krol nous fait rire pour mieux nous montrer l’horreur telle qu’elle existe, et il y réussit très bien. Callisto est un roman subtil et tendre à ne pas négliger. Du niveau d'un bon Série Noire déjanté.

Quant à Torsten Krol, on ne sait rien de cet australien, ce qui veut dire comme souvent que l'on a droit à la rumeur de l'auteur célèbre qui écrirait sous pseudo. Bon. Par contre, il a écrit un autre roman, The dolphin people, qui a l'air aussi décapant mais n'est pas traduit en français. Avis aux lecteurs bilingues et à la maison d'édition, Buchet Chastel !

Torsten Krol, Callisto, Buchet Castel, 2008, 24 euros, 476 p.