Cherokee de Jean Echenoz

Au cours d’une promenade qui passait devant le bouquiniste en plein air, j’ai vu dans ses bacs Cherokee de Jean Echenoz. C’est donc avec ce roman que je découvre un auteur dont j'entends parler depuis longtemps.

Des personnages introduits un à un à coup de « Voici Fred » ; un roman qui s'ouvre sur « un jour, un homme » pour se poursuivre plus loin par « il était une fois », « il était encore une fois ». Le lecteur est à la fois mis à distance et pris à témoin d'une sorte de représentation. L’ensemble entre style sec, descriptions et vocabulaire travaillés, « Sa vaine inimitié n’est pas ce que je crains » énonce le fameux Fred, procure un curieux sentiment de décalage. Avec un sentiment de schizophrénie, on admire d'un côté la maîtrise, la construction des phrases, le champ lexical, les paragraphes évocateurs tout en étant pris par la mécanique de l'histoire.

« Chaque instant était un contrepoint de paroles et musiques égyptiennes, coréennes ou portugaises, serbes et sénégalaises qui se nouaient entre elles, se brisaient les unes contre les autres comme des grains dans un moulin, et par-dessus tout cela s’élevaient certains soirs les barrissements recueillis des éléphants du cirque proche, les cris d’amour des lynx, et aux fumets polychromes des cuisines de l’immeuble dont les fenêtres ouvertes laissaient aussi jaillir les conversations vives à la lueur des ampoules nues se superposait l’arôme épicé de la ménagerie, comme une olive dans le martini. »

On se souviendra du Cirque d’Hiver, de la secte des rayonnistes de la main gauche, du perroquet Morgan ; de ces sièges en papier que l’on peut feuilleter une fois assis dessus ; on écoutera la musique présente dans de nombreuses pages ; on restera estourbi par le chassé-croisé de personnages, du flic Guilvinec à l’homme fort Crocognan en passant par la petite troupe de théâtre recrutée pour monter une arnaque. Car bien sûr tout ce petit monde court après un gros paquet de fric.

Ce qui fait penser à un exercice, avec un nombre de composants à intégrer, est magistralement réussi. Pirouette finale incluse. Il me reste à découvrir l’oeuvre de Jean Echenoz.

Il faudra que dj duclock nous parle de Cherokee, le standard de jazz de Ray Noble qui clôt le roman et lui donne son titre.

Pour finir on se penchera sur ce tableau de Caspar David Friedrich, que l’auteur évoque pour nous amener à regarder par la fenêtre, aux côtés de Georges Favre, les Alpes qui s’étendent sous ses yeux.


La grande réserve / Das grosse Gehege, 1832, Caspar David Friedrich

Jean Echenoz, Cherokee, Les éditions de minuit, 1983, 12,89 euros, 247p.