Le seigneur des anneaux, notes sur le livre 5 (Tome 3)

Eowyn et Aragorn par Alan Lee
Éowyn et Aragorn par Alan Lee

Les rôles de la femme et de l'homme


Dans le chapitre Le passage de le compagnie grise une discussion s'engage entre Aragorn et Éowyn, alors qu'Aragorn part au combat, la dame veut le suivre et vivre sa vie comme elle l'entend. Aragorn lui dit qu'elle doit rester gouverner son peuple, défendre sa maison et être l'ultime défense du foyer.

Et elle répondit : "Tout cela revient à dire : vous êtes une femme, et votre place est à la maison. Mais quand les hommes seront morts au combat, dans l'honneur, vous pourrez brûler avec elle, car les hommes n'auront plus besoin d'un toit. Mais je suis de la maison d'Eorl, et non une femme servante. Je puis monter à cheval, je sais manier l'épée ; et je ne crains ni la souffrance, ni la mort."
"Que craignez-vous donc, madame ?" demanda-t-il.
"Une cage, dit-elle. Vivre derrière des barreaux, jusqu'à ce que l'habitude et la vieillesse s'en accommodent, et que l'espoir d'accomplir de hauts faits soit au-delà de tout souvenir et de toute envie."

Sur deux pages s'engage alors une courte mais salutaire réflexion sur les rôles homme / femme. Si la compagnie de l'Anneau est composée uniquement d'hommes, Éowyn est le deuxième personnage féminin important croisé à ce stade de l'histoire. Nul doute que nous la reverrons dans ce livre ou le prochain. Galadriel, Reine de Lothlórien rencontrée à Fendeval (Fondcombe) avec ses cheveux dorés, son chant envoûtant, son savoir ancestral et sa réputation de sorcière redoutable est elle aussi un personnage important (et ambigü). Ces deux figures ne se ressemblent pas et attestent la possibilité (même si dans le cas d'Éowyn la pression sociale l'empêche de vivre comme elle l'entend) de jouer divers rôles ou tout au moins de tenter de sortir des rôles prédéterminés par la distribution sexuée. Je ne m'attendais pas à croiser un personnage et un discours comme celui tenu par Éowyn dans l'oeuvre de Tolkien. Une affaire à suivre.

Le charisme, le pouvoir et la guerre

Ce fut donc Gandalf qui assuma le commandement de la dernière défense de la Cité du Gondor. Sa seul présence, où qu'il allât, redonnait du coeur aux hommes et chassait le souvenir des ombres ailées.

Le charisme et la fascination jouent un rôle important dans la guerre. Ainsi Faramir (fils du seigneur Denethor et frère de Boromir) est un meneur d'hommes, un chef de guerre que l'on écoute. Juste avant le siège du Gondor, Pippin sent une puissance émaner de lui et l'acclame avec la foule. Il est dit plusieurs fois que Faramir maitrise aussi bien les Hommes que les bêtes. Ce sont autant les actions que la renommée qui fascinent les populations, cela et ce quelque chose (le charisme) qui émane de la personne elle-même (il en est de même d'Aragorn). Ce quelque chose n'est pas sans rappeler une certaine vision de l'aristocratie et de la noblesse. D'autres meneurs d'hommes, du côté de Sauron, commandent par la peur qu'ils inspirent. Faramir (tout comme Aragorn) est un personnage intéressant à étudier : est-ce parce qu'il est noble que c'est un "bon" meneur d'hommes ou est-ce parce que c'est un "bon" meneur d'hommes qu'il est noble ? D'où vient son charisme ? De ses actions, de son discours ou de son nom, sa lignée ?

Comme le rappelle Denethor, tous les seigneurs, du moins ceux qui règnent, ne partent pas à la guerre, d'autres la font pour eux. Ainsi quand Pippin demande à Denethor si le Seigneur Sombre va venir se battre à Minas Tirith :

Denethor eut un rire amer. "Non, pas encore maître Peregrin ! S'il vient, ce sera uniquement pour triompher de moi quand tout sera conquis. En attendant, il laisse les autres lui servir d'arme. Tous les grands seigneurs font de même, maître Demi-Homme, s'ils sont sages. Pourquoi, sinon, resterais-je dans ma tour à réfléchir, à observer et à attendre, dépensant même mes fils ?"

Notons au passage que Denethor fait partie des personnages qui sombrent, de ceux qui sont orgueilleux et qui risquent de mener les autres à la mort (comme le héros des Enfants de Húrin ; cf. article Indic n°27). D'autre part si Le Seigneur des Anneaux n'échappe pas a un des poncifs scénaristiques de la Fantasy médiévale, à savoir la mise en avant des seigneurs, des rois, de la noblesse et des grandes lignées familiales, les personnages de Hobbits sont intéressants et on pourra s'interroger sur ce qu'ils représentent en terme de stéréotypes face à la noblesse et aux puissants qui règnent sur le monde. Ainsi quand Pippin et Merry se retrouvent après quelques aventures et qu'ils parlent de Gandalf et d'Aragorn, Pippin dit que "Nous les Touc et les Brandibouc, on ne survit pas longtemps sur les hauteurs" et Merry répond "Mieux vaut aimer d'abord ce que l'on est capable d'aimer, je suppose : il faut commencer quelque part et prendre ses racines, et le sol du Comté est profond. Mais il est des choses plus profondes et plus élevées ; et sans elles, pas un grand-père ne pourrait soigner son jardin dans ce qu'il appelle la paix, qu'elles leur soient connues ou non. Je suis content de les connaître un peu. "

Les Batailles

Car le matin s'était levé, le matin et un vent de la mer ; et l'obscurité recula, et les troupes du Mordor gémirent, et la terreur les prit, et elles s'enfuirent, et moururent, et les sabots du courroux les piétinèrent. Et tous les hommes du Rohan, dès lors, éclatèrent en chants, et ils chantaient en tuant, car la joie du combat les soulevait ; et la rumeur de leur chant, terrible et belle, se répandit jusque dans la cité.

Les batailles représentent une bonne partie du livre 5 avec le siège du Gondor et la bataille des champs de Pelennor... C'est durant l'attaque de Minas Tirith que le seigneur Denethor perd la raison. Si la bataille est un moment grisant (cf. extrait page 129 ci-dessus) ses effets sont à la fois révélateurs (le comportement de Denethor, Éowyn...) et terribles (le début du chapitre des Maisons de Guérison parmi les ruines du champs de bataille et de la ville). Le côté mythique des batailles évoquées tout au long de l'oeuvre fait ici place à la bataille en elle-même avec quelques descriptions plus approfondies, la guerre et ses effets deviennent alors moins abstraits et plus désolants (comme l'avait laissé entrevoir la terrible bataille d'Orthanc ou le passage d'une partie de la compagnie dans le marais des morts).

Dans ces batailles se pose la question des simples combattants, de ceux qui n'ont pas de titre de noblesse, ceux qui ne dirigent pas les assauts mais les font ou les subissent. Les Hobbits pourraient bien représenter ces gens sans pouvoir, ceux là-mêmes qui sont évoqués dans ce passage quand l'armée conduite par Aragorn arrive aux portes du Mordor.

Aragorn les regarda, et ses yeux étaient empreints de pitié mais non de colère, car c'étaient des jeunes hommes du Rohan, venu du lointain Ouestfolde, ou des cultivateurs du Lossarnach, pour qui le Mordor avait été depuis l'enfance un nom de funeste augure, mais irréel : une légende qui n'avait aucune prise sur leur simple existence ; et ils marchaient à présent dans un rêve affreux devenu réalité, sans pouvoir comprendre cette guerre neipourquoi le sort les avait conduits à pareille extrémité.