Air de Rien (Fabien Maréchal se souvient de cet air)

Air de Rien (Fabien Maréchal se souvient de cet air)
Fabien in Hell (Clisson, 2014)

Fabien Maréchal tenancier du mythique forum Poin Poin et du site associé écrit aussi des nouvelles que vous devriez lire. Son dernier recueil en date Dernier avis avant démolition est aux éditions Antidata. En ce dimanche, alors que Noël approche, il se souvient de cet air...


 La guirlande électrique, avec d’année en année les mêmes ampoules grillées, a remplacé les bougies. Le spectacle imaginaire d’un embrasement du sapin était pourtant l’un des attraits de la soirée. La famille est là, dont ce grand-père qui m’a légué sa physionomie de haricot à rames et ma « très chère tante », plus tard précurseur d’une série noire familiale que la police aurait légitimement pu trouver suspecte.

 J’ai 21 ans, je ne crois plus au Petit Jésus ni au Père Noël, même plus en Mitterrand. Il n’empêche : tant qu’on boulotte les huîtres, il y a de l’espoir. Quand on a 4 ans, le miracle des cadeaux se suffit à lui-même ; une fois adulte, l’attente de l’extraordinaire s’insinue autrement. Un paquet recèlera peut-être un truc... Le truc, quoi... Qui fera le monde différent.

 Nous ne fêtons pas Noël pour les enfants, mais pour ce moment d’auto-persuasion : quelque chose va enfin dynamiter la routine. Les prophètes nous l’ont promis pendant plus de quatre mille ans et les vomissements sonores des animations commerciales pendant un mois entier. Après tout, quel est le plus extraordinaire : ce prodige que nous espérons, ou notre incapacité à nous convaincre que nous sommes parfaitement mortels (et, plus encore, imparfaitement vivants) ? Alors, à l’intérieur de nous, les loupiotes grillées de la guirlande se remettent à clignoter. Vous reprendrez bien une coupe ?

 Seulement les emballages sont éparpillés, les cartons éventrés, et l’homme au manteau rouge n’a pas daigné signer d’autographe à la sortie des artistes. Je monte me coucher avant tout le monde. Au mur de la chambre, sur l’affiche bleue de Birdy, d’Alan Parker, Matthew Modine en position quasi fœtale lève son bec vers la lumière sélénite tombant d’une lucarne grillagée. À moins qu’il ne chie.

 Je me pose sur le crâne un mauvais casque à oreillettes rouges, insère dans le lecteur le Live at Donington d’Iron Maiden, une copie sur cassette faite par mon ami Jean-Louis, avec qui j’ai vu le groupe huit mois plus tôt, au Printemps de Bourges (25 avril 1993, Loudblast en première partie).

 J’éteins la lumière. Le souffle initial de la bande. Les cris du public. Une sorte de grognement de dragon. Et, soudain, l’attaque terrifiante à la batterie de Nicko McBrain sur Be Quick or Be Dead. Je suis propulsé ailleurs. Sous la tente de Bourges. Pas dans les gradins, non : tout à l’avant de la scène, face aux musiciens, le chapiteau mué en membrane d’une enceinte géante. 
 L’impression dure le temps du foudroiement de batterie, du sprint des premiers riffs, et puis je reviens à moi.

 Foutripute !... Une téléportation, comme dans Star Treck
 Le seul cadeau dont je me souviens de ce Noël est celui auquel je ne m’attendais pas et que je n’ai pas reçu. Si je n’étais pas un simple amateur de heavy, je trouverais sans doute là matière à leçon pour les jours où l’on se sent cocu de la vie.


The serpent is crawling inside of your ear 
 He says must vote for what you want to hear 
 Don't matter what's wrong as long as you're alright 
So pull yourself stupid and rob yourself blind. 
 You got to watch them 
 Be quick or be dead