Nantes, centre ville dévasté : de quoi parle-t-on ?



La manifestation contre le projet d'aéroport a démarré à 13h en face de la Préfecture. La foule était énorme, on peut parier sur 40 000 participants et environ 500 tracteurs, un record, une fête.





Par contre, deux jours avant la pression était mise par le Préfet qui annonçait que le tracé du cortège était refusé. Presse-Océan titrait "Nantes, manif à risques". Dans le ciel, un hélico a tourné toute la journée.




Dès midi la rue du Calvaire (ci-dessus), grande rue commerçante du centre-ville, était barrée dans sa partie basse pour empêcher l'accès au Cours des 50 Otages. Les gens qui voulaient passer étaient fouillés (cela était-il systématique ?). Le Cours est un axe important, souvent emprunté par les manifestations (comme la précédente manifestation contre l'aéroport, d'ailleurs, qui avait occasionné des tags, vitrines cassées - Malakoff Médéric, banques - et pavés arrachés mais sans la même ampleur).

Cette année, et pour la première fois, une manifestation se voit refuser l'accès au Cours. Dans toutes les rues de l'hyper centre, les camionnettes de CRS, gendarmes et pompiers sont présentes. À 13 heures le cortège se met en route. Il est à peine 15 heures quand de la fumée apparaît au bout du cours des 50 Otages, là où une partie du cortège s'est trouvée face aux barrières des CRS. Les gaz lacrimos sont balancés sur la foule qui comporte des passants, et des enfants. Puis viendra le tour des canons à eau. Jusqu'en début de soirée, les affrontements ne cesseront pas.




Ouest-France titre sur le net...

"ND-des-Landes. Les images du centre-ville de Nantes dévasté". "Vitrines brisées, poste de police saccagé... Nantes s'est réveillée sous le choc après les émeutes de samedi en marge de la manif anti aéroport. Vitrines brisées, agences des transports nantais ou poste de police saccagés..."


Et il est vrai que sur le parcours, très tôt, une succursale d'EDF est aspergée de peinture. Plus loin une boutique Vinci est aspergée de peinture et sa vitrine est brisée.

La "dévastation" s'arrête là où le chocolat commence.
Combien de vitrines brisées ? Une dizaine : Nantes Tourisme, la SNCF (ci-dessus), le promoteur Vinci, le bar le Chat Noir, la FRAM, deux cabanons de la TAN incendiés. Les autres dégâts consistent en tags, incendie d'une foreuse d'un chantier, mobilier urbain (vitres abris tram/bus et panneaux publicitaires détruits), pavés arrachés à certains endroits entre les rails du tram sur la place du commerce et sur une portion de 3 mètres sur 5 dans la rue Kervégan (voir les photos ci-dessous). Tout est concentré autour de la place du Commerce. Un peu de retenue et de mesure seraient bienvenus de la part des journalistes qui versent dans le sensationnel en ce qui concerne les dégâts en "centre-ville".

La rue Kervégan où s'est tenue une barricade

Nous pouvons proposer un autre titre aux journalistes en peine de précision ou d'un usage de vocabulaire adéquat : "destructions dans le centre-ville" (savent-ils saisir la nuance ?)


Comme dans les films pornos le photographe de l'AFP Frank Perry prend une photo avec un objectif GRAND ANGLE ce qui fait de GROS PAVÉS.












Qu'en est-il par exemple de La Mie Câline ? Cette boulangerie était "au coeur des affrontements". Elle fait l'angle du Cours des 50 Otages. Certaines de ses vitres se trouvaient du côté de la police, d'autre du côté des manifestants (ci-dessous). 


Elle a été inondée par l'eau des canons à eau, bien sûr, et la marchandise détruite par les gaz lacrymogènes. On entend dire que les vitres situées du côté des manifestants ont été détruites. Voilà ce que ça donne concrètement.

La vitrine de La mie câline côté "casseurs".

Les médias

Dans le centre-ville ce dimanche, nous avons croisé des gens étonnés par le contraste entre ce qui est dit dans les médias, et ce qu'ils voient sur place : "mais c'est où que c'est dévasté ?" nous demande un couple de personnes âgées.

Près des locaux de la TAN, un passant disait connaître des commerçants "dévastés" sans vouloir préciser où, ni qui... Par contre le maire de la ville vient se faire filmer devant un des deux cabanons de la TAN incendié. Il annonce qu'il va porter plainte contre X et mettre un cabinet d'avocat à dispositions des gens qui veulent porter plainte. 



1 000 casseurs vraiment ?

Toujours difficile de comptabiliser. Et pour commencer, que veut-on dire par casseur ? Personne qui casse ? Personne qui vise un objectif pour le détruire dans le cadre d'un combat politique ? Personne extérieure à un événement qui vient s'y greffer pour se défouler ? Une personne lassée d'une démocratie ou un Préfet chargé du dossier de l'aéroport jusqu'en 2011 trouve ensuite un emploi chez Vinci ? Il paraît clair qu'il y avait plusieurs groupes distincts et que la grande majorité des personnes présentes pour mettre en place des actions s'en tenait aux tags sur les façades.


Quoiqu'il en soit, s'il faut compter les quelques points d'affrontement (cours des 50 Otages, rond-point du CHU ci-dessus, rue Kervegan), et additionner en utilisant une très grande louche 100 personnes sur chaque site (pour ce que nous en avons vu), comptons alors environ 300 personnes. Le chiffre de 500 (mais cela nous paraît exagéré) si l'on compte celles et ceux qui se sont retrouvés à lancer des projectiles contre les forces de l'ordre en réponse aux gaz lacrymogènes... Loin des 1000 annoncés (il faut bien justifier que les forces de l'ordre soient débordées par un nombre d'individu suffisamment impressionnant, à moins qu'elles n'aient laissé faire).

Les armes employées par le dispositif policier ?

La presse relaie en masse le communiqué de la préfecture, citant le nombre de casseurs et les policiers blessés. À part ça ? Les armes utilisées ? Les manifestants blessés ? Sont-ils allés vérifier au CHU ? Silence...

Les grenades assourdissantes ou à "effet acoustique"

Une question a été posé à l'Assemblée Nationale concernant la dangerosité et l'usage de cette arme. Voici un des éléments de réponse : Enfin, une fois mises en service, l'emploi de ces MPI fait l'objet d'un suivi, et d'une enquête administrative et judiciaire lorsque des blessures sont occasionnées.

Ces grenades assourdissantes ont été employées plusieurs fois, sur le Cours des 50 Otages, dans la rue Kervegan et près du CHU, là ou Quentin, qui fêtait ses 29 ans hier, en a reçu une en plein visage (EDIT : il s'agit d'un tir de LBD). Il a perdu son oeil gauche. Que penser de forces de sécurité débordées au point de devoir recourir à des armes dont la législation dit :

Les grenades à effet acoustique, simple ou combiné, sont classées au b du paragraphe 9 de la 1re catégorie de l'article 2 du décret n° 95-589 du 6 mai 1995 relatif à l'application du décret du 18 avril 1939 fixant le régime des matériels de guerre, armes et munitions et reposent sur un cadre juridique précis ainsi que sur une doctrine d'emploi spécifique pour chaque munition. Le décret n° 2011-795 du 30 juin 2011 a, par exemple, restreint les cas d'usage des grenades de désencerclement pour le maintien de l'ordre public, et imposé le respect par les forces de police d'un formalisme strict.

Vous pouvez écouter le témoignage de Quentin ici. (EDIT un témoignage d'une des personnes qui a aidé Quentin :  Ce qui est arrivé à Quentin et L'interview de Quentin par Itélé)

Quentin, 29 ans, charpentier, a perdu sa paupière et son oeil gauche.
Le LBD 40 (LBD pour Lanceur de Balle de Défense) dont l'usage est strictement encadré a aussi fait des ravages (photo ci-dessous). Que vont dire les médias si prompts à faire du sensationnalisme quand aux dégradations ? Que va dire le maire de Nantes à ce sujet ? Va-t-il porter plainte ? Demander des explications sur l'usage des grenades assourdissantes et du LBD 40, va-t-il demander des explications sur les tirs tendus ? Mettre à disposition un cabinet d'avocat pour les manifestants blessés comme il vient de le proposer pour les dégâts occasionnés aux commerçants ?

Blessé lors de la manifestation de Nantes le Samedi 22 Février.
Le projet d'aéroport continue de gêner le Parti Socialiste et la municipalité nantaise. Toujours soucieux de faire passer leurs opposants pour des terroristes ou des imbéciles qui n'ont pas compris le dossier, ils continuent de mettre la pression au point qu'on peut se demander si la gestion catastrophique de cette manifestation ne visait pas directement à provoquer des affrontements.

Nous avons suivi la manifestation de 13 h à 18 h et ce que nous avons vu était au début festif, puis moche, très moche même, mais pas forcément de la façon dont le relatent les médias principaux. Et ce n'est pas la première fois (cf. ce qui s'est passé les 24 et 25 Novembre 2012 sur la ZAD : Blessés à Notre Dames Des Landes, cet étrange silence médiatique).