Le dossier des peaux tannées, Vendée, 1794



La révolution a renversé les rôles, dans une sorte de charivari grotesque et sanguinaire. Alors que l'opinion s'accommode de l'immense violence napoléonienne, au nom des errements coutumiers aux militaires et autres soudards, la violence révolutionnaire est scandaleuse parce qu'elle bouleverse l'ordre du monde ! Que le petit peuple, dévolu à ne participer au cours de l'histoire que par l'abandon de son corps, chair à canon ou à supplice, puisse inverser les places assignées, participer aux rites transgressifs et imposer, à sa guise des sacrifices, paraît la pire des choses ; et ceux qui lui donnent la main seraient les pires criminels de l'humanité.

Avec les processus révolutionnaires en marche au Moyen Orient, la Révolution française revient sur le devant de la scène. Elle reste toujours un vaste champ de bataille ou s'affrontent les idées ; chaque camp y puise ses faits divers et ses légendes qui seront autant d'exemples et de leçons. Des théories s'échafaudent...

Le livre de Jean-Clément Martin fait le point sur la question des "peaux tannées" et répond à la question : action isolée ou entreprise d'État (1) ? Il met aussi en perspective la pratique de l'écorchement et réfléchit à la perception de la violence révolutionnaire à l'heure actuelle et à son inscription dans l'histoire. Le livre remet donc dans son contexte historique les violences qui ont eu lieu pendant la Révolution, non pas en faisant le parallèle avec les exterminations de masse du XXème siècle (2) mais avec ce qui se passait avant. L'historien recherche les témoignages et les preuves de l'existence de ces fameuses tanneries qui pourraient - par exemple - préfigurer la planification des camps de concentration. Un lieu comme le château de Meudon et son imaginaire n'est pas sans rappeler la base américaine de Roswell qui alimente bien des fantasmes. Le livre a aussi pour objet de détricoter cette théorie qui voudrait que la Révolution française soit la mère des violences totalitaires du XXème siècle.

Ce qui intéresse Jean-Clément Martin ce sont les faits et une lecture de l'histoire sans "sidération", une lecture éloignée du prisme de notre époque : les mentalités à la fin du XVIIIème siècle ne sont pas les mêmes que celles du XXIème. La remise en contexte historique est fort intéressante notamment quand il revient par exemple sur les noyades de Nantes, en remarquant que le lien a été fait entre l'habitude de noyer les esclaves révoltés sur les bateaux négriers et les noyades des vendéens à Nantes ; rappelant ainsi que cette violence n'est pas "une originalité révolutionnaire". Il fera aussi un parallèle avec le XIXème et le XXème pour ce qui est de la guerre, de la violence, et de la condition humaine. Il fait parfois des passerelles plus ou moins heureuses : les snuffs movies (3) "pour des clientèles aussi inquiétantes que discrètes" ou "(des) "exécutions" d'hommes jeunes, vigoureux, aient lieu en Chine pour alimenter le réseau des vendeurs d'organes", sont deux points qui me paraissent discutables ou tout au moins à sourcer sérieusement.

Le livre remet quelques pendules à l'heure et participe de cette bataille qui s'est engagée depuis 1789... de plus il est bien écrit, ce qui n'est pas déplaisant surtout dans un genre littéraire - l'essai - où le style est parfois délaissé.

Jean-Clément MartinUn détail inutile ? Le dossier des peaux tannées. Vendée, 1794, Vendémiaire, 2013.
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(1) Jean-Clément Martin répond notamment aux nombreuses pages internet qui reprennent la thèse de l'existence de tannerie de peau humaine sous la révolution française.

(2) Le livre - sur ce point "violence et révolution" - est à mettre en parallèle avec des textes de Patrice Gueniffey qui donne une autre vision de la Révolution... plus à droite.

(3) Le snuff movie semble bien tenir du fantasme ou de la légende urbaine, mais si quelqu'un a des infos sur le sujet je suis preneur.