Les promesses de l'ombre, promesses tenues.


Un peu échaudé par History Of Violence dont je suis ressorti plutôt mitigé cochon d'Inde à l'époque (mais il faut que je le revoie), j'avais un peu la trouille de m'ennuyer en visionnant Les promesses de l'ombre. La question pour moi était : est-ce que Cronenberg peut faire un polar ?

Résultat :
Je me suis fait piéger par le scénario et j'ai eu peur.
C'est en grande partie ce que l'on demande à un polar, non ?

Le jeu d'acteur est très bon (est-ce une constante chez Cronenberg ? il semblerait bien que oui) ; Naomi Watts, Viggo Mortensen, Armin Mueller-Stahl, Vincent Cassel et les seconds, troisièmes et quatrièmes rôles sonnent tous très bien et font penser aux prouesses des acteurs de films noirs des années 50, avec peut-être un surplus de finesse. Les émotions ne sont pas trop appuyées par le scénario, c'est principalement le jeu d'acteur qui véhicule les pensées et les émotions.

Le film pose des questions (une autre constante, qui n'est pas que cronenbergienne) tout en amenant des éléments de réponse. La fin est assez terrible si on pense en terme de déterminisme et de possibilités d'échapper à son passé, à son éducation et à ce que l'on a subi et commis. Cette thématique n'est pas sans rappeler History Of Violence mais elle me paraît ici plus subtilement traitée. Notons aussi, au passage, que le film comporte une scène de baston remarquable.




La violence est filmée d'une façon froide et distante et malgré ce qui est montré, les scènes qui pourraient devenir complaisantes ne le sont pas. Il faudrait peut-être que Cronenberg filme la violence physique comme il filmait les accidents dans Crash, c'est à dire sans artifices ni orchestration.
Le propos du film sur la bratva (mafia russe), la famille, les codes d'honneur, la vérité et le mensonge est sans appel. L'érotisme vient principalement des scènes de corps, Nikolai (Viggo Mortensen) quand il se fait tatouer sur le canapé rouge et la fameuse scène dans le bania (bain de vapeur russe).

(Attention ce qui suit révèle des éléments importants du film, si vous ne l'avez pas vu vous devriez vous arrêter là).

Dans Eastern Promises le mensonge suinte de quasiment tous les personnages et cela à divers niveaux : l'oncle déforme les faits en disant qu'il a travaillé au KGB et qu'il sait tout, Nikolaï joue double jeu ; Kirill (Vincent Kassel) se ment à lui-même tout en mentant à son père ; le père de Kirill ne veut pas voir la réalité sur son fils et va mettre en place une machination de plus pour le protéger. Les tatouages qui relatent les passages de la vie des membres de la bratva  (comme des coups de tampons sur un passeport) sont aussi le reflet de ses mensonges ; seules les personnages d'Anna et de sa mère semblent échapper au mensonge.

Je me suis fais piéger au moment où Nikolaï monte en grade dans la bratva ; quelque scènes avant il me paraissait clair que Semyon (Armin Mueller-Stahl) le père de Kirill allait l'envoyer à la mort en le faisant passer pour son fils auprès des Kosovars, mais la construction scénaristique et surtout scénique de l'initiation de Nikolaï m'ont entraîné sur la fausse piste : code d'honneur des voleurs, ésotérisme et cie... j'y ai cru ! Je me suis fait berner, pour moi Nikolaï était rentré dans la famille et il me paraissait alors impossible qu'il y ait trahison. Poudre au yeux !

Bien sûr, les codes et cie ne sont là que pour maintenir les esclaves dans l'esclavage. La transgression de ces codes n'est pas un problème pour les puissants à qui ils profitent. À la reflexion ce jeu de mensonges à plusieurs niveaux (puisque que Nikolaï est en ait un agent infiltré) joue aussi dans l'attirance qu'Anna Khitrova (Naomi Watts) ressent pour Nikolaï.




David Cronenberg, Les Promesses de l'ombre (Eastern Promises) 2007, 97 minutes.