Tommaso Pincio, l'interview

(© Effige)

Nous avons déjà causé de monsieur Tommaso Pincio sur Duclock à plusieurs reprises, vous trouverez aussi trace de ses livres dans L'Indic. Pour la sortie de Cinacittà, mémoires de mon crime atroce (chez Asphalte éditions) nous avons voulu poser quelques questions à l'auteur.


Dj Duclock : Je n'ai pas encore lu Cinacittà, mémoires de mon crime atroce, mais dans vos deux autres romans traduits en français Le Silence de l'espace et Un amour d'outremonde, les objets ont une grande importance. Quel est votre rapport à l'objet manufacturé ?

Tommaso Pincio : Même dans Cinacittà, l’objet a une place importante dans le déroulement de l’intrigue. Je pense que cet intérêt vient de mon éducation artistique. J’ai beaucoup étudié Giorgio de Chirico et les surréalistes. Fatalement, j’en suis venu à la poésie de ce que l’on appelle l’objet trouvé, le produit manufacturé qui, extrait de son environnement d’origine, finit par se transformer en une présence menaçante et chargée de mystère. Par ailleurs, presque tout l’art du XXe siècle est marqué par cette obsession pour l’objet, parce que, comme le disait Mondrian : « Au fond, nous sommes tous surréalistes. »

Et la musique ? Les légendes et les constructions qui tournent autour de l'industrie du disque ? Cela a-t-il un rapport avec les objets ?

Je ne saurais pas dire. Peut-être que non. L’industrie du disque est désormais devenue un fossile, elle appartient à un temps qui, même s’il n’est pas si lointain, nous est devenu irrémédiablement étranger. Quand j’étais enfant, la dimension physique revêtait une importance capitale. Il suffit de penser aux vieux 33-tours qui, par leur forme et leur dimension, avaient un impact énorme sur le monde. Aujourd’hui, ce n’est plus comme ça. Les sons sont sans cesse reproduits, ils existent dans un espace auquel a été aussi ôtée la dimension du temps.

Quelle part tient la musique dans le processus de création de vos romans ?

Cela dépend des romans. Dans le cas d’Un amour d’outremonde, la musique a été fondamentale, alors que pour Le Silence de l’espace, elle a été insignifiante. Et pas seulement parce que, dans le premier cas, l’histoire implique une célèbre rock star ; la nature même du récit est aussi entrée en jeu. Dans ce roman, les sons touchaient au cœur des choses : il y avait les lamentations métalliques des scieries, les hurlements lancés par Homer lors de ses promenades nocturnes dans les bois, les sifflements électriques des soucoupes volantes des vieux films de science-fiction. Le Silence de l’espace se passe au contraire dans un vide pneumatique. C’est un petit poème qui n’a pris la forme d’un roman que par accident.
Je dirais que les associations musicales relèvent de la pure suggestion émotive et qu’elles n’ont donc pas de lien direct avec l’histoire que j’ai l’intention d’écrire. Quand je travaillais sur Cinacittà, j’écoutais « Hardly wait », la version de Juliette Lewis. Il me semblait que le morceau incarnait l’esprit du roman que j’avais en tête, mais je ne saurais pas en expliquer la raison et je ne pourrais probablement jamais le faire.

Que lisez-vous en ce moment ?

Généralement, je lis de tout. Mais en ce moment, je suis aux prises avec une sorte de roman sur Le Caravage, je recherche des textes de cette époque. Je lis par exemple Giovan Battista Marino, un poète italien qui a vécu à cheval sur le XVIe siècle et le XVIIe siècle. Sinon, je relis Les Fiancés et Histoire de la colonne infâme d’Alessandro Manzoni, parce qu’ils se situent dans le Milan du XVIIe siècle.

Quel est le disque ou le morceau qui tourne sur la platine ces derniers temps ?

Récemment, je n’ai écouté que des bandes originales parce que je devais sélectionner la musique qui allait accompagner une série de projections du Faust de Murnau. J’avais besoin de comprendre de quelle façon une chanson ou un extrait musical peut résonner avec le sous-texte d’une œuvre jusqu’à produire un écoulement d’images en mouvement. Ça a été une expérience résolument intéressante.

Pouvez-vous nous raconter votre dernière surprise, la dernière fois que vous avez été surpris par quelqu'un ou quelque chose ?

Mon coiffeur, il y a quelques jours de cela. J’étais en train de me faire couper les cheveux et au milieu du flot de potins qui, comme toujours, se déversait sur moi, cette phrase est sortie tout à coup : « Mais qui a dit que je ne pourrais pas devenir un super-héros ? J’y crois presque plus aujourd’hui que quand j’étais petit. » Je vous assure que la façon dont il a dit cela, dans un langage tout à fait romanesque, c’était de la pure littérature.



NB : Sur Paris vous pourrez rencontrer Tommaso Pincio le 28 juin à 19h à la librairie Longtemps (22 av. Mathurin-Moreau, 75019 Paris) pour une soirée romaine en présence de Maxim Jakubowski et Chiara Stangalino (anthologistes de Rome Noir), Tommaso Pincio (auteur de Cinacittà) Sarah Guilmault (traductrice). Le 29 juin 2011, à partir de 18h à la librairie Charybde (129 rue de Charenton, 75012 Paris).