I-grek, Le Meilleur des Mondes et l'interview



Igrek règle ses comptes. Règlement de compte avec la dictature algérienne, règlement de compte avec les rappeurs actuels qui lorgnent vers le gangsta et les sirènes de la mode, règlement de compte avec lui-même, règlement de compte avec l'exil, avec la guerre d'Algérie, l'intégrisme religieux... Les thèmes sont traités avec sincérité et les comptes sont bons. Igrek ne brosse pas dans le sens du poil (Que jeunesse se Passe). La musique tient la route avec de bons cuivres par là, une bonne guitare ici, de bon claviers et des samples qui sortent de l'ordinaire. Voilà du hip hop qui se tient pas loin de Java pour la musique, Keny Arkana pour les textes... de quoi me rabibocher avec les grosses basses.

Igrek, 90 %



I-grek, l'interview




Ta chanson "90 %" est en prise direct avec ce qui est en train de se passer dans le monde arabe où la révolution tunisienne semble s'exporter. La révolution face aux tyrans soutenus par l'Europe (dont la France) et les USA est en marche. Ta chanson fait penser plus précisément à la réélection de Bouteflika. Comment vois-tu tout cela, je veux dire cette révolution en marche ?

Je tiens d’abord à préciser que j’ai écrit cette chanson il y a plus d’1 an et que je l’ai enregistrée l’été dernier, donc bien avant les soulèvements populaires en Tunisie et en Egypte. Je ne voudrais pas qu’on s’imagine que je l’ai écrite pour surfer sur l’actualité en espérant faire un « buzz ». C’est vrai que ma chanson parle plus précisément de Bouteflika, mais je l’ai écrite en pensant à tous les despotes, qu’ils soient moyen-orientaux, maghrébins ou africains, qui ne servent que leurs propres intérêts, méprisent leur peuple et se maintiennent au pouvoir en partie grâce à la complaisance de l’Europe et des Etats-Unis. J’ai choisi Bouteflika comme j’aurais pu choisir Ben Ali ou Moubarak parce qu’ils sont l’incarnation de ces régimes autoritaires, la façade du pouvoir. Mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est que derrière cette façade, il y a une structure, des réseaux opaques, et tout un système qu’il faudrait mettre à bas pour que les peuples accèdent enfin à une réelle indépendance. En clair, la chute des tyrans ne suffit pas, c’est un changement profond et radical du système politique qui est nécessaire pour que l’on puisse vraiment parler de « révolution », notamment en Algérie où l’armée et la police politique sont extrêmement puissantes.

Sur la pochette de l'album Le meilleur des Mondes, tu poses avec une horloge un peu à la façon de Flavor Flav de Public Enemy, dans La Vérité me Rattrape tu tapes sur quelques clichés du rap. Qu'est-ce que tu penses des clichés du hip hop, de ce que l'on entend à la radio, de ce que l'on voit à la télé en hip hop ?

Bien vu pour l’horloge à la Flavor Flav ! C’est vrai que je tape sur quelques clichés du rap et que je ne me reconnais pas vraiment dans ce que l’on entend à la radio ou dans ce que l’on voit à la télé. Je pense que les médias de masse n’aiment pas faire dans la subtilité et sont demandeurs de clichés, surtout dans une société où l’image a pris le pas sur le propos. Je pense aussi que la plupart des rappeurs donnent aux médias ce qu’ils attendent dans le but de vendre plus de disques. Mais je ne dirais pas que « le rap c’était mieux avant » car je découvre tous les jours, notamment grâce à internet, des groupes qui travaillent dans l’ombre et représentent une réelle alternative. De plus, je trouve que le niveau objectif des rappeurs, du point de vue purement technique (diversité des flows, des styles…), a beaucoup progressé au cours de ces 10 dernières années.

Qu'est-ce que tu écoutes en ce moment ? Est-ce que tu peux nous parler de tes dernières découvertes ?

Pour te dire la vérité, je passe plus de temps à écrire et à lire qu’à écouter de la musique. Je me sens d’ailleurs beaucoup plus proche d’un écrivain que d’un musicien ou d’un chanteur. Mais pour répondre à ta question, quand je regarde ce que j’ai dans mon lecteur mp3, y’a pas vraiment de « nouveauté », en vrac : NWA « Straight Outta Compton », Raekwon « Only built 4 Cuban Linx », Akhenaton « Métèque et Mat », Fabe « La rage de dire » … et aussi quelques instrus pour écrire… Mes dernières découvertes, je les dois surtout à mes rencontres ou au hasard de mes recherches sur internet. Ce qui me vient à l’esprit, c’est une chanteuse d’origine tunisienne qui s’appelle Emel Mathlouti, qui a des textes engagés et une voix très émouvante.

Et en bouquin, qu'est-ce que tu bouquines en ce moment ?

Je viens de terminer La confession d’un enfant du siècle d’Alfred de Musset et j’ai été très touché par les états d’âme de l’auteur (surtout dans la 1ère partie du livre) qui me rappellent les miens et peut-être aussi ceux de ma génération : avenir incertain, présent confus, incapacité à se situer dans l’Histoire, sentiment de mener une vie de raté par rapport à ses parents ou à ses grands parents… Plus de 170 ans plus tard, le « mal du siècle » dont parlait Musset n’a pas totalement disparu, même si ce n’est plus la vie contemplative et rêveuse qui mène à la mélancolie, ce sont plutôt le chômage, la précarité, l’individualisme et la guerre du tous contre tous qui conduisent à la dépression, moins romantique. Sinon je viens de commencer Le socialisme et la vie, un recueil de textes du grand penseur socialiste Jean Jaurès (pas François Hollande !) qui tente difficilement de concilier l’idéalisme et le matérialisme.

Oui, Alfred de Musset, je relis de temps en temps Lorenzaccio... Une dernière question, pas forcément la plus facile... Est-ce que tu peux nous raconter ta dernière surprise ? La dernière fois où tu as été surpris par quelqu'un ou quelque chose ?

La dernière chose qui m'a surpris, c'est la découverte de l'existence du mystérieux manuscrit de Voynich.

Vous pouvez retrouver Igrek et écouter des extraits de son album sur son site : Igrek.