Hubert Felix Thiéfaine, Suppléments de Mensonge, Sony, 2011



Le miroir s'était retourné et je voyais l'avenir. Un vieil acteur qui fouille les poubelles devant le théâtre de ses triomphes perdus. C'est sur ces deux phrases de Bob Dylan que se referme le livret qui accompagne le dernier album d'Hubert Félix Thiéfaine.

Thiéfaine, ça faisait longtemps...

Les premiers morceaux d'Hubert Félix Thiéfaine dont je me souvienne ce sont Alligators 427, Les Dingues et les Paumés, Lorelei Sebasto Cha et Autoroute Jeudi d'Automne qu'on écoutait assez fort dans la voiture en faisant semblant de conduire. On était deux dans le coup et on se demandait quand même si passer les vitesses sans appuyer sur la pédale pouvait abîmer quelque chose. C'était l'enfance. Plus tard je me souviens bien de Ta Zone est Chaude, de Lorelei Sebasto Cha, de Une Fille au Rhésus Négatif, de Pulque Mescal Y Tequila, de Rock Autopsie, Nyctalopus Airlines... c'était l'adolescence et on ne jouait plus dans la voiture arrêtée. J'avais une mobylette et des kilomètres à faire pour aller voir le monde. C'était Chroniques Bluesymentales. Encore plus tard il y a eu Fragmens d'Hébétitudes et j'ai laissé Hubert Félix Thiéfaine de côté. Il y a eu un petit retour avec La bonheur de la Tentation et La Tentation du Bonheur et Défloration 13 puis l'âge adulte. La vie a continué sans Thiéfaine, j'ai revendu tous mes albums, j'ai juste gardé le vinyle de Meteo Fur Nada parce que c'était un vinyle. Et voilà que se pointe Suppléments de Mensonge. Alors je suis allé l'acheter avec quelques courses pour le frigo et un pack de 1664 et Scandale Mélancolique parce que ça faisait deux jours que je l'écoutais sur mon bouzin après l'avoir télétruché de manière totalement illégale.

Claquer 15 Euros...

J'achète moins de disques qu'avant et ce n'est pas rien de claquer une quinzaine d'Euros par les temps qui courent (ou qui stagnent...) pour un disque qui, dans quelques mois, se retrouvera à 9,99 Euro, puis à 6,99 pour finir dans le bac à 4,99... La politique des grosses boîtes et la gestion des backs catalogues font partie de la balle dans le pied que se tire constamment l'industrie du disque. Il m'arrive toujours d'acheter des disques, mais sur les brocantes, les vides greniers, beaucoup sur la toile (Amazon, Price...). Un vinyle neuf de temps en temps...

Alors quoi ?

Alors voilà, J'ai lu dans Ouest France que Thiéfaine sortait un nouvel album et puis je l'ai entendu causer sur France Inter pendant une émission à la con et il s'en sortait pas trop mal et puis comme je le dis plus haut j'écoutais Scandale Mélancolique... Alors la pression médiatique, la nostalgie ont fait que je me suis procuré le dernier Thiéfaine dans un Leclerc de banlieue.

Edward Hopper, Conpartiment C Voiture 293, 1938

Suppléments de Mensonge

Comme sur Alambic/Sortie Sud (avec Claude Mairet) ou sur Scandale Mélancolique et peut être quelques autres albums qui me sont passés sous le nez, il a laissé la composition à quelqu'un d'autre. A plusieurs autres même : Pierre Lefeuvre & Jean François Peculier, Arman Mélies, JP Nataf, Roberto Briot, Guillaume Soulan, Dominique Dalcan, Ludéan. Que l'on se rassure, tout se tient et Thiéfaine signe quelques titres. Aux deux premières écoutes, sur certains morceaux, il m'a fallu me réacoquiner avec le vocabulaire d'Hubert Félix qui sonnait parfois un peu forcé à mes oreilles. Et puis très vite tout m'est revenu en mémoire. Le coup de "Et tu m'apprends les vers d'Anna Akhmatova / pendant que je te joue Cage à l'harmonica" m'a bien fait marrer, la première chanson m'a donné envie de pleurer. Une fois qu'on a pris l'habitude de trois poèmes pour Anabel Lee, on a là une belle ballade élégante à la racine des thèmes du chanteur. Car si l'approche évolue, les thèmes (mais il va falloir que je refasse le voyage dans la discographie) sont toujours les mêmes. L'amour, la solitude, la mort, la folie, les souvenirs, la dérision, la raison, apprendre à mourir, apprendre à dompter "le noir" (tiens ça me rappelle l'article de monsieur Bernard Allaire dans L'Indic n°7). Au point de vue musical Thiéfaine délaisse un peu le blues rock, non pas pour revenir à l'humour country déglingué de ses débuts, mais à quelque chose d'un peu nouveau tout en restant rock et pop. Il y a quelques fausses longueurs qui deviennent très vite appréciables... des nappes de violons aussi... mais elles collent bien. Quelque chose de naïf et de roublard plane sur les tounes et c'est comme s'il avait trouvé l'équilibre entre les deux, un genre d'apaisement. Chez Thiéfaine comme chez Dylan de nombreux personnages s'invitent pour les chansons, aussi vous croiserez Edgar Allan Poe, Greta Garbo, Edward Hopper, Nietzsche, Walt Whitman, Sylvia Plath, Aristote, Théophile Gautier, Nathaniel Hawthorne... l'art répond à l'art.

Hubert Felix Thiéfaine, La Ruelle des Morts



Un dernier mot... avant la suite

Bien sûr venir traîner dans Suppléments de mensonge par nostalgie est un leurre. Tu ne retrouveras pas les sensations d'avant, il n'en reste de toute façon que des lambeaux pour toi, pour Hubert Felix Thiéfaine comme pour moi. C'est pas la peine de chercher ici la parfaite osmose de quand tu étais encore une pâte à modeler. Mais comme me disait Fred Gevart en parlant de ce que font les Sonic Youth à l'heure actuelle (The Eternal), je cite de mémoire "ben tu sais, les Sonic Youth, ils sont comme toi... Ils ont grandi". Une chose est sûr Hubert Félix Thiéfaine a vieilli et moi aussi... ça tombe bien. Comme dirait l'autre "ce qui a été n'est plus". C'est peut-être tant mieux, c'est peut-être tant pis ou c'est peut-être pas... Et je me dis qu'il est temps de lire cette biographie de Thiéfaine par Thiéfaine. Et je me suis commandé quelques anciens albums... La nostalgie, camarade.