La carte et le territoire, Michel Houellebecq


C'est le seul livre de la rentrée littéraire que je me suis procuré. Le Houellebecq, et je n'ai tenu que la première partie, j'avais commencé à prendre des notes pour vous en parler en détail mais j'ai abandonné... Tout cela était trop attendu et entendu. Il reste ça et là quelques éclats qui étaient déjà rabâchés par ailleurs et qui deviennent redondants. Ces petites considérations sur le monde en général : L'Afrique forcément synonyme de massacre et de pauvreté, les clochards qui braillent comme des cochons et font caca là où ils dorment, les femmes et leur sexe comme des fleurs et les hommes qui viennent y butiner, le photographe qui, en fait, n'a qu'à mitrailler 1000 photos pour extraire la bonne, pas difficile comme métier... et ce monde de gens en vu à la télé ou dans les médias qui m'est totalement étranger... Cela m'a vite lassé comme une conversation de comptoir avec ces constats faciles et déjà tenus. Houellebecq me touche souvent avec sa poésie et je pense qu'il marque (marquait ?) quelque chose à notre époque et cela avec une sincérité assez rare (du moins pour les textes et romans que j'ai lu). Si je parle du bouquin aujourd'hui c'est parce que chez Pradoc Limited, Roland exprime en partie un sentiment que je ressentais et que je n'arrivais pas à exprimer, un genre de lassitude molle, je lui laisse la parole, merci Roland.

LA CARTE ET LE TERRITOIRE, MICHEL HOUELLEBECQ

En 1995, j’ai eu l’occasion dans une soirée d’écouter MH lire des poèmes sur les mouettes et raconter ses promenades près des baraques à frites, j’ignorais qu’il deviendrait médiatique et populaire par ses romans, et je ne savais rien de la poésie industrielle sous cellophane dont il se faisait le VRP. Il me parut très anecdotique, j’avais lu en classe des écrits annotés en marge des cahiers de textes qui le valaient largement.

Puis il publia son premier roman, le désormais célèbre Extension du domaine de la lutte que je lus à cause de la pression qui commençait déjà de s’exercer autour de son nom. J’estimais le livre sans passion, n’en retenant que quelques scènes sur l’ennui de travailler et les chapitres inspirés de La Fontaine. Mais je jugeais mal l’ampleur du phénomène, et le grossissement délirant de louanges me fit considérer d’un autre oeil ce volume qui n’avait rien de bouleversant mais que subitement chacun possédait.

Très vite, Houellebecq fut dans chaque famille française à table assis derrière son couvert. Il était notre portion de jambon sous-vide et il fallut l’avaler, en parler, commenter, prendre position, même à ceux qui comme moi s’en fichait éperdument. On ne pouvait plus prononcer le terme “littérature” devant des ignorants, sans que son nom ne survienne. Le public avait une mascotte. De misère sexuelle, il fallut alors parler, chacun ayant son petit engin contristé à agiter sous la table, les discussions furent animées. Merci Michel d’avoir détruit ce silence qui couvrait des vices et d’en avoir fait des banalités qui s’échangent à haute voix.

Puis lentement, avec une force d’obstination qui confine à l’aveuglement, MH poursuivit son exploration du vide, il voyagea en Thaïlande d’où il rapporta sa nouvelle bombe : les musulmans sont des cons, l’eugénisme c’est bien, la télévision est la seule véritable forme de culture, le tourisme sexuel c’est top pour écrire…

Je me sentis un peu fâché que mon père approuve, et qu’il en vienne à évoquer les érections de notre grand écrivain pour se renseigner sur les miennes qui se passaient amoureusement dans une chambre de bonne. Puis, le pire arriva. Tout le monde adorait MH. Les médias s’emparèrent du lot et le firent fructifier. Guillaume Durand était ravi et bavait d’admiration, Edern Hallier le comparait à Francis Bacon. Le génie dans son oeuf méditait d’autres malveillances et le public achetait ses billets d’avion en low-cost pour Bangkok en pèlerinage sur les traces de l’écrivain.

J’accélère.

Puis en Septembre 2010 sortit le nouvel opus, contre lequel j’étais déjà sérieusement prémuni. Et je lus ce texte de petit bourgeois blanc malheureux avec du dégoût, avec colère, sentant dès la première page que j’étais face à un ennemi qui n’allait pas me lâcher. Heureusement, le texte décongela très vite, sa fadeur en matière de style s’épuisa et les aventures du héros me parurent d’une beauté d’évier qui ne m’interpella pas vraiment.

Je ne fus pas longtemps bercé par le ronronnement de la voix morne de celui qui autorise le malheur à naître en lui. Et bizarrement, alors que sonnait l’heure de la grande fête promise à celui qui vend 300.000 exemplaires, je me retrouvais à Berlin, n’en ayant au final rien à carrer de cette voix qui me susurrait à l’oreille que j’avais mollement raté ma vie et que j’allais finir en épluchures. D’ailleurs je le sentais qui se collait à mon dos, pour pleurer et éjaculer sur mon épaule. Alors j’eus un mouvement et le chassais comme une mouche et le vis partir bourdonner ailleurs avec ces gros yeux d’insectes, l’auteur.

Roland Pradoc.

Le texte a été précédemment publié chez Pradoc.