Un lieu incertain de Fred Vargas


Dans son dernier roman Fred Vargas met la langue et les mots au coeur de l’histoire, en plus des pieds coupés et des corps pilés comme de la glace.

Tout commence dans la nuit des ruelles londoniennes. Le commissaire Adamsberg, flanqué de Danglard, est parti en colloque en Angleterre. Barrière du langage pour lui qui ne pipe mot d’anglais. "Il cohabitait donc en marginal, comme il l’avait espéré, et peu avaient compris qui il était au juste." Détaché et très peu extraverti, il préfère bien souvent son monde intérieur.

Quand l'enquête le mènera vers la Serbie, Adamsberg, transformé par son séjour, montrera de l’intérêt pour la communication et le dialogue avec autrui. Avant de partir en promenade le long du Danube bordé de vieilles barques, vers le "lieu incertain" au milieu des bois, il se fera traduire "bonjour", "merci" et "français" pour les griffonner sur le revers de sa main. Faut dire qu’il a quelques bons moments à passer dans le lit d’une ronde et jolie aubergiste pour se remettre de son enquête, le Francuz. Dans ce petit village de Kisilova au milieu des collines, une tombe gravée Plogojowitz occupe la position centrale de l’enquête. Kisilova, Plogojowitz, deux noms qu'Adamsberg aura dû décrypter pour arriver jusque là. Le nom du village se cachait derrière un mot cyrillique, mal traduit par Estalère le flic naïf en kiss love. Pour Plogojowitz, Adamsberg a fait un peu de généalogie (avec l'aide des solettes de Plogoff !) et découvert le point commun aux personnes assassinées : des familles dont le nom débute par plog. Onomatopée réutilisée par le commissaire et Vlad le traducteur, qui deviendra dans leur bouche un mot à part entière, mais au sens variable.

"- C’est curieux pour une femme seule de ne pas s’enfermer dans un train de nuit.
- Plog, dit Vladislav, qui semblait utiliser cette nouvelle onomatopée pour dire certes, ou entendu, ou évidemment, Adamsberg ne savait pas très bien. Le jeune homme paraissait goûter ce petit mot inédit comme un bonbon neuf, dont on mange toujours trop au début."

Quant au tueur à l'origine de tout, son surnom lui vient de l’Autriche qui l’a baptisé le Zerquetscher, l’écrabouilleur. Adamsberg, amateur des détails les plus incongrus, prononcera ce mot, le ruminera, l’assimilera et le fera rentrer dans son langage. Après une rencontre impromptue avec le tueur, il raccourcira le mot en un plus simple Zerketch, et finira par en faire comme un prénom, Zerk. Qui cache bien des choses qu'il vous reste à découvrir.

Fred Vargas, Un lieu incertain, Viviane Hamy, 2008, 18 euros, 385p.